Deux d'un coup
de Liviu Rebreanu

critiqué par Ellane92, le 24 mai 2013
(Boulogne-Billancourt - 48 ans)


La note:  étoiles
Un roman policier à la roumaine
Un couple de vieillards a été assassiné dans une petite ville roumaine. Les deux d'un coup. Le juge chargé de cette affaire compte bien élucider ce crime odieux en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! Mais les choses semblent être bien plus complexes qu'il n'y parait. Les victimes déjà étaient peu appréciées de leurs voisins : radins, prêteurs sur gage sans pitié, certains de leur créditeurs auraient pu leur en vouloir. La question est bien sûr de comprendre pourquoi le meurtrier n'a pas profiter de l'occasion pour dépouiller le couple de ses richesses. Côté famille, entre un frère riche également et une sœur rancunière sans le sou, un neveu les poches vides qui se rapprochait du couple ces derniers temps... Et puis il y a également le serviteur du pope qui semble cacher bien des choses. Bref, notre juge d'instruction aura fort à faire, parmi une galerie de personnages hauts en couleur, pour trouver l'auteur de ce crime !

J'ai vraiment beaucoup apprécié la lecture de Deux d'un coup. Ce titre a le goût un peu vieillot des romans d'Agatha Christie. Bien loin des thrillers réalistes (comprendre violents et sanglants) qui font tendance ces derniers temps, ce livre nous propose de mener l'enquête et de trouver le coupable en suivant l'investigation d'un juge qui voit ici l'occasion de prouver qu'il vaut bien un Sherlock Holmes. La galerie de personnages est plus vraie que nature, et nous invite à une étude des petits et grands travers qui agitent l'âme humaine, le tout servi par une écriture précise et emphatique qui incite à sourire tout au long de la lecture : "On rédigea un codicille au procès-verbal, puis les scellés de rigueur furent apposés sur les portes de la maison et l'on pria le chef de la police de laisser un sergent de garde dans la cour ou dans la rue, pour éviter que quelque imbécile intéressé ne vienne violer l'œuvre de la justice". Et oui, Pinot simple flic, dernier rempart pour protéger la vertu de la justice, ça c'est une image forte !
En tout cas, je relirai sans aucun doute ce petit bijou de Liviu Rebreanu avec un grand plaisir !
Mourir d'avarice 8 étoiles

Vers les années quarante, sans que cela soit précisé exactement, à Pitesti, en Roumanie, un couple de riches commerçants âgés est assassiné à la surprise générale. Le juge Dolga conduit l’enquête en commençant ses investigations au sein de la famille qui apparait bien désunie, les victimes n’ont pas d’enfants et leur héritage pourrait attiser les convoitises des autres membres de la famille : un frère commerçant enrichi mais moins ladre que son aîné décédé, une sœur acariâtre qui se plaint depuis longtemps d’avoir été lésée par ses frères lors du partage des biens de leurs parents. Il ajoute à cette liste de suspects prioritaires : un voisin fêtard ayant un fort besoin d’argent, un neveu attendant cet héritage avec une impatience manifeste et celui qui a découvert les corps, le valet du pope. Le juge mène son enquête avec ordre et méthode comme un véritable Hercule Poirot ou Jules Maigret des Carpates, ne laissant rien au hasard, pressant les suspects sans égards pour leur statut.

Ce roman, le dernier écrit par l’auteur décédé en 1944, comporte tous les éléments d’un bon polar : des victimes, des suspects, des indices, des hypothèses, des rumeurs, des accusations et une part de mystère que le juge doit percer, mais à mon avis, c’est encore plus un roman social qu’un roman policier. L’enquête est bien au cœur du récit mais elle semble plus servir de prétexte à l’auteur pour dépeindre le milieu social d’une petite ville roumaine au milieu du XX° siècle avec sa bourgeoisie marchande et sa bourgeoisie administrative qui règnent sur la cité et se rencontrent facilement quand leurs intérêts sont en jeu. L’auteur dénonce sans détour le rôle de l’argent dans la vie de cette société et toutes les tares qu’il peut engendrer chez ceux qui en ont trop comme chez ceux qui en manquent parfois même cruellement.

Ce texte, avec son intrigue bien conduite et son écriture académique est un roman fondateur de la littérature roumaine du XX° siècle, il est annonciateur des œuvres des grands romanciers qui l’ont nourrie jusqu’à nos jours. Au-delà du polar et du roman social, il faut aussi considérer le regard acéré que l’auteur porte sur la société dénonçant au passage l’avarice, la cupidité, l’appât du gain et quelques autres vices encore. Un livre que je rangerais entre ceux de Simenon et ceux d’Agatha Christie.

Débézed - Besançon - 76 ans - 18 juin 2015