Le pont dans la vase, tome 1 : L'anguille
de Chomet (Scénario), Hubert Chevillard (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 23 mai 2013
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Une anguille sur le pont
Le récit débute avec l’emménagement d’un couple richissime dans un bâtiment prestigieux mais voué à la destruction, l’Académie des Sciences, tandis que le dôme supérieur commence à subir les assauts du bélier. L’action se situe dans une ville imaginaire édifiée sur des ponts et cernée par les eaux vaseuses. La ville évoque un Paris des années folles qui aurait cherché à copier New-York avec ses gratte-ciel. En explorant les combles du bâtiment, l’épouse tombe sur le journal d’un dénommé Camille Park… On y découvre alors l’histoire dudit Camille, plusieurs décennies en arrière. Celui-ci est en fait une chanteuse (surnommée l’Anguille) se produisant dans un cabaret miteux dans le seul but d’assurer sa pitance. Voulant faire des études, il dut se travestir en garçon, l’accès à la connaissance étant interdit au genre féminin, mais finit par se faire renvoyer de l’Université des sciences. Il faut dire que Camille, forte tête et forte en gueule, a refusé de se soumettre à la pensée unique qui veut que les chercheurs n’aient pas le droit de chercher… Une histoire pour le moins rocambolesque avec des personnages hauts en couleur dans un univers à la fois absurde et onirique, où la jeune fille représente la rébellion, le grain de sable dans les rouages d’une société totalitaire et obscurantiste.

Ceux qui ont apprécié le dessin animé « Les Triplettes de Belleville », dont Chomet était l’auteur, retrouveront sans déplaisir cet univers à la fois délirant, sombre et grinçant, sous le pinceau leste et élégant de son compère Chevillard. La mise en couleur, sans être exceptionnelle, est tout à fait honorable.

Quant à l’histoire, elle ne manque pas d’originalité, à tel point que même après l’avoir lu plusieurs fois, j’avais l’impression de la découvrir à nouveau. Peut-être pas forcément un compliment… Je dois confesser avoir eu un peu de mal à rentrer dedans la première fois. En fait, c’est comme si les auteurs, débordant d’idées et de trouvailles, avaient voulu tout mettre dans ce projet, au risque d’égarer le lecteur… Obligé d’admettre que d’un point de vue scénaristique, c’est un vrai bordel au premier abord, même si tout finit par se recouper…

Et si l’on fournit un effort de déchiffrage (ou de défrichage !), les thématiques développées sont dignes d’intérêt et les lectures multiples, bénéficiant de l’imagination particulièrement débridée des auteurs, qui n’hésitent pas à distiller le malaise. L’aveuglement d’une caste de savants bornés y est brocardé de façon cinglante, face à la raison et l’esprit de résistance incarnés par la jeune Camille Park, obligée de se travestir en garçon pour pouvoir étudier. Tendu comme un arc, le personnage de Camille semble à peu près le seul, avec son oncle Mungo, à oser se rebeller dans un monde étouffé par les conventions, une sorte de dictature molle où la police monte des rhinocéros patauds mais aux effets destructeurs.