Cible nocturne
de Ricardo Piglia

critiqué par Isad, le 18 mai 2013
( - - ans)


La note:  étoiles
Trouver un coupable plausible
Sous des dehors et un rythme paisibles, ce livre est d’une féroce cruauté. La lecture est lente et s’égare sur des sentiers poétiques, sur les ressorts de l’âme humaine, sur les désirs individuels et les contraintes sociales, sur la pesanteur mais la sécurité de la famille. Par moment on voudrait plus d’action, mais l’auteur nous peint la vie avec ses entrelacs de contradictions et ses dilemmes moraux. Il y a des gagnants, ceux qui foncent ne s’embarrassent pas de remord. Il y a ceux qui ont un idéal, une éthique et ne supportent pas de s’en écarter. Il y a les velléitaires qui jouent à vouloir changer mais n’en auront pas le courage. Il y a enfin les perdants qui seront écrasés même s’ils sont innocents, ce que beaucoup le savent et parce que cela arrange tout le monde.

A niveau de la forme, le récit est entrecoupé de fragments de dialogues qui expliquent quelques dessous des relations entre les personnages.

Nous sommes au début des années 70. Un étranger, mulâtre américain, meurt poignardé dans la chambre d’hôtel d’une petite ville rurale d’Argentine. Il était là pour affaire et folâtrait avec les deux jumelles (Ada et Sofia) d’un propriétaire terrien. Tout indique que Yoshio, le petit veilleur de nuit japonais à la peau lisse est le coupable. Le commissaire Croce, qui travaille à l’ancienne par déductions et connaissance des individus et des relations subtiles qu’ils ont tissés entre eux ne s’en contente pas. Mais le procureur Cueto parvient à l’évincer et à le faire mettre à la retraite pour le remplacer par son adjoint. Il se retire à l'abri dans l’hôpital psychiatrique et se fait aider par Renzi, le journaliste venu de la capitale.
IF-0413-4030
Une critique cinglante de l'Argentine des années 70 6 étoiles

Alors qu'on attend avec impatience le retour de Peron, un crime a été commis. Un mulâtre américain est retrouvé assassiné. Les pistes sont brouillées, trop d'éléments s'entremêlent et beaucoup de personnes gravitent autour de cette affaire. Il y a cette famille Belladonna avec ce père qui se montre très proche de ses filles, des jumelles et bien plus froid avec ses fils. Selon les rumeurs, ces jumelles avaient une vie amoureuse débordante avec le mulâtre. Ou bien est-ce cet homme japonais qui était l'amant du mort ? Ou bien peut-être était-il un trafiquant ? Ricardo Piglia construit un cadre dans lequel tout devient possible. Tout le monde devient suspect. L’ambiguïté des situations et des personnages m'a parfois rappelé l'univers des films de David Lynch. Un commissaire, un journaliste, quelques hommes de pouvoir se questionnent, mènent l'enquête. Les innocents n'ont pas toujours raison et la corruption est reine.

Ricardo Piglia dresse une critique cinglante de ce monde où les élites parviennent toujours à leurs fins. Le thème de la claustration est très présent dans ce roman : un personnage à l'asile, un autre en prison sans preuves, des êtres prisonniers de leurs secrets, cette incapacité à se défendre honnêtement qui emprisonne certains personnages dans l'illégalité ... Ici, les personnages sont dépassés par des forces supérieures, économiques et politiques. Ce sont des héros tragiques, des pions sur le grand échiquier du monde.

La structure du roman peut surprendre. Il y a beaucoup de personnages et de séquences très différentes les unes des autres : des dialogues vifs, des considérations ésotériques sur les rêves et la folie ( Celui qui est "fou" n'est-il pas depuis fort longtemps celui voit le monde correctement ? ), des réflexions économiques un peu rébarbatives ... Ces séquences m'ont semblé inégales, certaines saisissantes, d'autres ennuyeuses. Le récit n'est pas toujours linéaire, il faut donc rester concentré afin de ne pas s'y perdre.

Ce roman a reçu le prix national de la Critique en Espagne et le prix Romulo Gallegos en Amérique latine.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 18 octobre 2014