Sphex : Fantaisies malsaines de Bruce Bégout

Sphex : Fantaisies malsaines de Bruce Bégout

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Gregory mion, le 7 mai 2013 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
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Sous les pavés, l'ordinaire.

Au nombre de trente-sept, les nouvelles qui composent ce recueil sont placées sous la juridiction du sphex, un insecte dont la prédation répond à un fonctionnement méthodique. La méthode du sphex se découpe selon les trois temps d’une valse sinistre : paralysie des proies, transport de celles-ci dans son repaire, puis reconversion des corps paralytiques en ressources nutritives à destination des larves du prédateur. Ce curieux maillon de la chaîne alimentaire, doté d’un agent malin et de patients malheureux, nous renseigne sur l’idée littéraire qui traverse ces petites « fantaisies malsaines » : Bruce Bégout engourdit le lecteur afin de mieux le tarabuster. Ciselés à l’extrême, ces textes brefs travaillent de l’intérieur la plasticité de nos seuils émotionnels et cognitifs. Souvent nous atteignons le point aveugle de ce qui excède nos conceptions morales, et pourtant, chose intéressante, la majorité des histoires auxquelles nous sommes confrontés se territorialise sur l’espace banal du quotidien. L’ordinaire est gros d’une infinité de tragédies, on pourrait résumer l’esprit de ce livre par cette formule. Quant à ceux qui ne sont pas étrangers aux sujets de prédilection de B. Bégout, il convient de rappeler que l’auteur est préoccupé par les lieux infra-structurels, par les sortes de canalisations où se déverse une ontologie parfumée, celle de l’orifice des villes, un vanne symbolique où convergent les banlieues, les rues coupe-gorge, les terrains vagues, les décharges et les zones industrielles. Ces nouvelles, portées par une littérature du béton armé ou par une sémantique du délaissement, au choix, cartographient une partie de ce cadastre sub-généraliste si cher à l’auteur, un quadrillage urbain où circulent quantité d’anti-héros, depuis l’insomniaque pathologique jusqu’aux parents qui s’engraissent de fast-food, en passant par le scepticisme faible d’un homosexuel refoulé et le projet mégalomaniaque d’un milliardaire qui voudrait éradiquer le souvenir du marxisme, au propre comme au figuré.
L’occasion est donc belle de s’enfoncer au cœur des lieux familiers, à l’endroit où les gens n’étouffent pas leurs rots, somme toute vers les arrondissements d’une putasserie d’ensemble. L’exploration minutieuse de ces marges nous offre par ailleurs un assortiment d’anticipations. Certes la modernité a érigé d’improbables architectures, comme elle a en outre enfanté nombre d’existants qui lui correspondent, on a plus ou moins compulsé des informations sur le sujet, on a eu notre compte de décadences annoncées. Toutefois, l’intervention de la littérature, et singulièrement celle de B. Bégout, permet d’aller voir non plus entre les lignes d’une théorie, mais carrément derrière, au fin fond des coulisses, en direction de ce qui se manigance vraiment dans la complexion urbaine. Chaque nouvelle se construit par conséquent à l’instar d’un itinéraire qui va du plus certain au plus étrange. Ce sont des méditations métaphysiques affranchies du désir de connaître car ce qui importe, ce n’est pas de cerner la justesse d’un raisonnement, ce n’est pas non plus de stocker des savoirs, ce qui prime au contraire, c’est l’extension de la communauté des êtres en face desquels nous devrions identifier des ressemblances, faute de quoi nous risquons un déni de réalité qui pourrait s’avérer catastrophique. En soutenant le regard des lieux suburbains, B. Bégout harmonise les contrastes, et de ce fait il nous prépare sans détour aux basculements éventuels, à ces micro-événements qui viennent toujours de l’extérieur, qui se déplacent de la périphérie jusqu’au centre, à l’image de cet « hôtel discount » (pp. 133-140) dont on redoute la future profusion, ou bien comme cet individu épouvantablement fatigué des habitudes, un individu qui mijotait dans le secret de sa cervelle les moyens de devenir un centre d’attention, fût-ce pour une durée abrégée, au milieu de circonstances à la fois attristantes et atténuantes (pp. 201-203).
Ceci étant dit, la lecture de Sphex appelle celle de Garanti sans Moraline, un autre recueil, dû à la plume acérée de Patrick Declerck.

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