Des noms et des gens en guerre, tome 1 : De la Grande guerre au Front populaire
de Nicole Arnold, Françoise Dougnac, Maurice Tournier

critiqué par JulesRomans, le 20 mai 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
La guerre des mots
Voilà un livre que gagnerait à lire beaucoup d’auteurs de fiction. En effet c’est tout l’univers des mots apparus durant la Première Guerre mondiale et jusqu’en 1939 autour des questions touchant aux conflits qui est exposé.

Ainsi éviterait-on de voir écrit par exemple que la perte totale d’une jambe est “une fine blessure“, dans "Le Journal d’Adèle" (au demeurant un bon roman historique pour adolescentes). L’ouvrage rappelle page 79 (note 273) ce que dans "Les Soldats de la Grande Guerre", on définit comme une fine blessure en s’appuyant sue les écrits "Carnets de guerre" de Coeurdevey. Elle est appelée aussi "blessure-filon" comme on peut le lire page 94 en se rapportant à ce qu’en dit le violoncelliste Maurice Maréchal cité dans "Paroles de Verdun".

En fait Maurice Tournier l’ouvrage traite de tout le vocabulaire militaire, politique et syndical qui est porté par la période 1914-1939. On notera dans le deuxième chapitre la trentaine de pages consacrées à l’évolution de la condition féminine entre 1920, il est dommage qu’une introduction dans ce sujet ou un point dans la première partie n’est pas expliqué en quoi la Grande Guerre avait bouleversé le rapport des femmes au travail non domestique.

Cet ouvrage puise ses exemples dans des sources variés et outre des ouvrages qui comme "Ni droite, ni gauche : l’idéologie fasciste en France" ou "Les Soldats de la Grande Guerre" ont présenté de nombreux extraits des pensées représentatives de l’époque, l’auteur est allé chercher de lui-même dans des périodiques aussi variés que "L’École émancipée" ou "Le Faisceau" de Valois. Une petite surprise la bibliographie du tome 1 se retrouve (certes distincte de celle du tome 2) dans le second volume ; c’est aussi le cas pour les nombreuses abréviations qui désignent des titres de livre abondamment cités. Enfin on regrette de ne pas trouver un index des noms propres, on aurait envie de retrouver des citations de personnes qu’on connaît en prenant connaissance du livre ou de retrouver quelques temps après une phrase d’un personnage dont on a mémorisé le nom.

On apprécie que les mots soient présentés au milieu des phrases et de voir comment des extraits de mots historiques ou slogans rapportés par la propagande sont repris par des parodies. Ainsi à la page 103, les affirmations assez proches d’un Briand ( "Nous les aurons") et d’un Pétain ("Courage ! On les aura !") sont intégrées dans une chanson qui est cité à l’origine dans "Anarchisme et révolution" de Potel Brossat :

« Ah oui ! mon vieux Briand, oh oui nous les aurons !
" Nous les aurons !", a dit notre premier Ministre
On connaît ton bagout et ton passé sinistre
Nous t’écoutons parler et puis nous rigolons. (…)
Dans vos bons lits bien chauds, Messieurs dormez tranquilles
C’est sûr, nous les aurons, puisque Briand l’a dit,
Les morts vont se chiffrant par centaines de milles,
La France n’en sait rien, Briand ne l’a pas dit ».

Enfin, ceux qui veulent s’intéresser à Pierre Brizon trouveront là repris de nombreux extraits de l’ouvrage "Nous crions grâce, 154 lettres de pacifistes, juin-novembre 1916" (aux Éditions ouvrières). Suite aux prises de position de ce dernier, comme on le voit dans "Pierre Brizon pacifiste : Député socialiste de l'Allier, pélerin de Kienthal" de Pierre Roy, un flot très important de lettres arrive chez le parlementaire.