Le champ dans la mer
de Ying Chen

critiqué par Libris québécis, le 24 février 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Fidélité au passé
Ying Chen illustre dans ses romans le déchirement entre deux mondes, celui du passé et celui de la société qui nous anesthésie par ses loisirs. Dans Immobile, l'auteure remontait même au-delà de la vie, voire dans des réincarnations antérieures. Avec Le Champ dans la mer, elle se limite à l'enfance et à l'adolescence.
L'héroïne est une jeune femme mariée qui ne peut se détacher d'un amour d'adolescence, le vrai qu'elle a connu dans la campagne chinoise. Sur fond de guerre et de changements sociaux, elle a vécu en solitaire d'autant plus que son père, un maçon, était mal perçu au sein d'une population agricole. Il est mort d'ailleurs de façon mystérieuse en tombant d'un toit qu'il réparait. Privé de ce lien important pour son développement, elle a aimé d'autant un adolescent qu'elle espérait marier un jour.
Vivant dans une société qui travestit ce que nous sommes, l'héroïne se sent mal à l'aise dans son rôle de femme moderne. Sa mémoire la ramène constamment à ce passé, qui l'ont privée des hommes de sa vie, ceux mêmes qui
auraient facilité son développement. Pour leur rester fidèles, elle se détache d'un amour adulte pour entamer celui qui n'a été qu'esquissé à son adolescence. Son drame rappelle celui des peuples de l'Est interpellés par la machine commerçante de l'Ouest, qui frappe à leurs portes pour vendre les dérivés du bonheur. Tout asiatique qu'elle est, l'héroïne tourne le dos à cette sollicitation pour respecter ce qu'elle est. On connaît la vénération des Orientaux pour leurs ancêtres. Comme eux, elle est fidèle à ce qui l'a engendrée.
Ce roman onirique est un voyage dans l'imaginaire d'une femme. L'écriture dépouillée convient bien à l'état d'esprit de cette héroïne qui s'est fait voler son enfance. Ce genre d'oeuvre n'échappe pas aux piétinements. C'est intéressant dans la mesure de notre curiosité pour les fondements d'une personnalité. A ce titre, ce roman est marquant et caractéristique des écrivains immigrants.
Cet auteur vit dans la campagne québécoise où elle a retrouvé ses champs de maïs. Peut-être a-t-elle remplacé la mer par l'un des magnifiques lacs de la région qu'elle habite, cet élément qui a subjugué l'imaginaire de l'héroïne de son dernier roman.