Bestiaire de Paul Léautaud

Bestiaire de Paul Léautaud

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances , Littérature => Francophone

Critiqué par AmauryWatremez, le 3 mai 2013 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 54 ans)
La note : 9 étoiles
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misanthrope aimant les animaux

Le Bestiaire de Léautaud rassemble tous les passages de son journal où il raconte ses histoires avec des animaux, la plupart du temps errants, recueillis par lui ou donnés à des personnes de confiance. Il arrive que le Bestiaire soit un peu fastidieux à lire du fait des inventaires que l’on y trouve. Ce qui est intéressant dedans est la manière de Léautaud de décrire le petit peuple de Paris, à la fois ignoble, violent, et sympathique, capable d’altérité, un Paris disparu.

On y découvre un quartier de Saint Sulpice populaire, un quartier latin où les populations et les classes sociales osent encore se mêler, une fraternité non-dite des plus pauvres avec ceux qui le sont encore plus, à savoir les animaux abandonnés ou perdus. Ce n’est pas toujours le cas, l’humanité étant partout souvent décevante aux yeux de Léautaud, mais aussi de votre serviteur qui a aimé ce livre aussi car il partage la conception de cet écrivain..

Il était édifiant de lire le Bestiaire de Léautaud dans les quartiers même qu’il décrit dans son ouvrage, à la terrasse de cafés envahies par le fléau touristique, la bobolisation progressant comme un cancer, la fausse authenticité frelatée, ripolinée et « amélipoulinesque », cette manière de concevoir Paris comme à travers le filtre de l’atmosphère des photos mièvres de Robert Doisneau, ou à la manière des américains qui ne voient dans cette ville qu’une ville « so romantic » et rien d’autres. Avec Léautaud, Paris prend des allures de Brocéliande, de jungle peinte par le douanier Rousseau, de pays de Blandine, Bonne-Biche et Beauminon, merveilleux, pleins de bêtes enchantées, et parfois cruelles.

Céline et Léautaud sont deux misanthropes littéraires exemplaires, ce que sont finalement la plupart des littérateurs de toute manière, qui se libèrent des blessures subies par eux à cause de l’humanité en écrivant, en ouvrant un passage vers des univers mentaux et imaginaires inexplorés. Mais l’écriture n’est pas qu’une catharsis, contrairement à ce que les auteurs d’auto-fiction voudraient nous laisser croire, eux qui font une analyse en noircissant des pages qui ont pour thème central l’importance de leur nombril.

La misanthropie en littérature est un thème couru, maintes fois traité et repris, souvent lié à la pose de l’auteur se présentant en dandy, en inadapté, en poète maudit incompris de tous.

C’est un sujet d’écriture au demeurant très galvaudé.

Parfois, l’auteur qui prend cette posture a les moyens de ses prétentions, de ses ambitions, et d’ailleurs la postérité a retenu son nom à juste titre, pour d’autres, c’est souvent assez ridicule voire grotesque. Les artistes incompris de pacotille, les rebelles de ce type sont des fauves de salon comparés aux écrivains qui refusent les mondanités, les dorures, et l’ordure. Ces fauves de salon ne sont pas méchants, ils sont émouvants à force d’évoquer Rimbaud ou Baudelaire pour tout et n’importe quoi, de manière aussi désordonnée que l’adolescent post-pubère clame sa détestation de la famille pour mieux y cocooner, et continuer à se vautrer ensuite dans un mode de vie bourgeois. Et après tout, Claudel qui se réclamait de Rimbaud, et qui était un grand bourgeois conservateur, était aussi un grand écrivain, les fauves de salon peuvent donc avoir encore quelque espoir que leur démarche ne soit pas totalement vaine.

C’est encore mieux quand le prétendu inadapté rebelle, artiste et créateur, est jeune, et vendu comme génie précoce pour faire vendre (ne surtout pas oublier la coiffure de « rebelle » avec mèche ou frange « ad hoc »).

Au final, on songe plutôt à leur encontre au mot de Jean Paulhan répondant à une lettre d’injures de Céline, ce sont à la fois des enfants, des fous, mais aussi des hommes de talent, des génies avides de gloire. Ils ont des blessures diverses, surtout à cause du monde, dont ils ressentent la sottise et la cruauté plus fortement que les autres. Ce sont finalement des blessures d’amour, en particulier pour Léautaud, mais aussi pour Céline, qui feint de haïr ses semblables mais qui veut à tout prix ou presque leur reconnaissance.

Léautaud, qui était habillé en Auguste, a souvent été amoureux et ses amours furent chaotiques, on se rappellera des éclats avec Le Fléau, sa relation amour/haine avec les femmes. Léautaud affirmait détester les êtres humains, ses semblables pitoyables, primates à peine debout sur leurs deux pattes antérieurs, et leur préférer les animaux, plus tendres, plus simples, moins enclins à la perversité, l’envie, l’avidité, la cruauté envers son prochain.


Ces deux auteurs comme beaucoup de natures très sensibles sont dans l’incapacité au compromis sentimental, amical, à l’amour mesuré, raisonnable, sage, et finalement un rien étriqué. Il est difficile de leur demander de rentrer dans un cadre ce dont ils sont incapables.

Léautaud recherchait l’amour fou, fusionnel, les colères étaient nombreuses comme on peut le lire dans son journal, tout comme les réconciliations toutes aussi orageuses. Il ne supportait pas, tout comme ses maîtresses, le banal, qu’il confondait avec le médiocre, il y aussi un bonheur caché, plus discret, dans les petits gestes de complicité et d’affection quotidiens que peuvent s’échanger les couples. Il y a ce bonheur à contempler en observant la femme que l’on aime quand elle a ses gestes d’abandon, quand elle est seulement elle-même.

Comme tout grand amoureux, Léautaud le sait, mais angoissé par la fin possible de l’amour il préfère provoquer la colère, la rupture, en demeurant un caustique inguérissable. Plutôt le bruit et la fureur, la solitude rageuse, que prendre le risque de souffrir et de laisser un amour mourir. Il y a cette anxiété terrible, cette crainte de mal aimer aussi, cette quête des sentiments parfaits, comme les enfants les recherchent, l’adulte sachant qu’ils sont par définition impossibles.

Sur ce point là, Céline est aussi un enfant comme Léautaud, on sent dans ses amitiés, à travers ses lettres à Roger Nimier, Denoèl ou Gaston Gallimard, cette recherche de la perfection et d’une amitié sans réelle réciprocité où c’est l’ami qui couve, qui prend les coups, les responsabilités à la place, et à qui l’on peut reprocher la brutalité et la sottise du monde extérieur, du monde des adultes où ils ne sont jamais au fond rentrés en demeurant des spectateurs dégoûtés par ce qu’ils y voient.

Leur misanthropie est aussi leur faiblesse, mais comme du charbon naissent parfois quelques diamants, de celle-ci naît le génie particulier de leur œuvre littéraire. Cette hyper-émotivité du style que l’on trouve surtout chez Céline, mais aussi, dans une moindre mesure, chez Léautaud, ce chuchotement fébrile et passionné, presque bredouillé chez l’auteur du « Bestiaire ».

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