Enfant de fer de Mo Yan

Enfant de fer de Mo Yan

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique , Littérature => Nouvelles

Critiqué par Myrco, le 30 avril 2013 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 6 étoiles
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Récits d'enfance...

Voici une anthologie de 16 nouvelles (du meilleur et du moins bon, selon moi) la plupart issues de différents ouvrages et parues entre 1989 et 2003.

L'enfance (et notamment l'enfance malheureuse de l'auteur dans la Chine maoïste des années 50-60) constitue l'une des sources d'inspiration essentielles de son oeuvre. Réunis par ce même lien thématique, les textes rassemblés ici (il s'agirait des nouvelles préférées de l'auteur sur ce thème) relatent en effet, à quelques exceptions près des souvenirs d'enfants ou de jeunes ados, narrés le plus souvent à la première personne, sans que l'on puisse savoir dans quelle mesure ils empruntent ou non à la propre histoire de Mo Yan ou à des histoires entendues ou côtoyées. Toujours est-il qu'elles prennent place dans la durée et les lieux de sa propre enfance et adolescence.

S'y retrouvent des évocations récurrentes dans l'oeuvre:
-le contexte historique avec la famine de la fin des années 50, la politique structurante de classes et ses dérives;
-la rudesse des conditions de vie de ces paysans et petits artisans dans cette province de la Chine du nord; l'auteur se souvient du froid particulièrement vif des hivers de cette époque et des souffrances infligées à la chair, de la pénibilité des travaux des champs face à la force cruelle d'une nature capable d'anéantir tout effort, de trajets interminables à pied, de nuit pour aller vendre sa production...
-les croyances populaires aux esprits, très ancrées dans cette Chine rurale encore arriérée de l'époque.
Pour autant, tout cela ne constitue pas le thème des histoires qu'il nous raconte mais alimente les détails du fond de tableau sur lequel elles s'inscrivent.

Car, ne l'oublions pas, Mo Yan reste plus que tout un remarquable conteur d'histoires. Nombre d'entre elles sont prétexte à en imbriquer plusieurs; comme il le dit par la voix d'un de ses personnages: "si je ne raconte pas toutes les curieuses aventures que j'ai dans la tête, je risque l'étouffement". Toutes n'appartiennent pas à la même veine "tendres, violents, cruels, souvent les trois à la fois" (4ème de couverture) tantôt réalistes voire prosaïques, tantôt poétiques touchant au merveilleux ou au fantastique, graves ou parfois cocasses, ces récits illustrent une fois de plus la diversité de son talent.

Mes préférées:
-"Carpe d'or": on ne peut plus classique dans son inspiration, la légende de Jin Zhi transforme une destinée héroïco-tragique sur fond de révolution culturelle en un joli conte optimiste et généreux que traversent la fraîcheur confiante d'un enfant et qui sait (?) la blessure d'un grand-père qui voudrait peut-être lui aussi croire à cette merveilleuse histoire qu'il raconte à l'enfant.
-"Coup de vent": celle-ci m'a beaucoup touchée... sans doute est-ce la plus chargée de valeurs et de sensibilité à mes yeux. A la veille de sa mort, un grand-père fait parvenir à son petit-fils un simple brin de plante, symbole d'un souvenir ultime d'effort partagé, qui porte en lui tout à la fois le trésor de la transmission et la force du lien d'affection qui les unissait.
-et surtout, dans un registre tout à fait opposé "La rivière tarie" ou comment un jeu d'enfants inconscients du danger comme peuvent l'être les enfants vire au drame. Ce texte très fort, d'une grande beauté, d'une grande violence aussi illustre la douleur d'une enfance meurtrie, assassinée face à l'incompréhension, à la cruauté imbécile des adultes. Et cette lente agonie remarquablement décrite n'est pas sans rappeler une autre nouvelle de Mo Yan que j'avais beaucoup aimée "Les poucettes" (*).

Pourtant chez lui, l'enfance n'est pas toujours synonyme d'innocence; elle peut être coupable, pervertie par la jalousie... encore que dans "La faute" la vraie responsabilité réside sans doute plus dans le désamour des parents pour l'aîné.

"Le bébé abandonné" pose le problème des traditions qui poussent à multiplier les naissances dans l'espoir d'avoir un garçon et à abandonner les filles, pratiques en totale opposition avec la politique de limitation des naissances. Cette nouvelle contient déjà tous les germes d'une problématique qui sera développée avec brio dans le roman "Grenouilles".

Il n'est pas possible d'achever ce petit compte-rendu non exhaustif sans parler de la nouvelle phare qui donne son titre au recueil "Enfant de fer". Même si elle n'emporte pas ma préférence, il s'agit sans conteste de la plus originale, née d'une imagination fertile et créative capable de transcender un vécu terrible en un fantasme visionnaire dénué de tout pathos. Faut-il rappeler que dans ces années-là, Mao instaura la politique du "Grand bond en avant" visant à promouvoir la production d'acier. 1958 fut l'année des "hauts fourneaux"; le moindre ustensile était sacrifié et surtout les paysans furent mobilisés et durent abandonner le travail de la terre, d'où une famine épouvantable qui fit des dizaines de millions de morts. De cet épisode qui marqua la petite enfance de Mo Yan est né ce fantasme de manger du fer...

(*) cf. "La belle à dos d'âne..."

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