Romans de Jules Barbey d'Aurevilly

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par AmauryWatremez, le 30 avril 2013 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 54 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 3 243 

Une époque intellectuellement épaisse peut-elle comprendre Barbey d'Aurevilly ?

Bien sûr, j'aurais pu évoquer l'affaire Cahuzac, dire combien j'étais dégoûté, surpris, dévasté et j'en passe mais cela ne serait pas très sincère car finalement je ne vois pas trop en quoi c'est si surprenant que cela dans une société libérale libertaire corrompue par l'argent à un point qu'aucune société humaine auparavant n'avait atteint.



Je préfère parler de Barbey, c'est au fond largement plus important. Barbey qui détestait la « sottise démocratique », qui était un Don Quichotte de la Manche française, les illusions sur la nature humaine en moins, n'aurait pas été étonné non plus.



Il aurait trouvé de quoi tonner, se mettre en colère et se scandaliser en 2013, et se serait aperçu qu'au fond rien n'a changé depuis le stupide XIXème siècle excepté le fait que les valeurs étroites des bourgeois positivistes, frileux et hypocrites, ont essaimé partout, se répandant dans les esprits comme une épidémie dévastatrice.



L'époque est à la simplification extrême, à l'épaisseur de pensée, à l'esclavage de la norme qui envahit tout y compris la perception de la littérature. Pour se justifier de lire des romans, considérés comme des livres peu « sérieux » car fictions, elle analyse l'écriture en la psychanalysant voire en la psychiatrisant.



Ainsi, dans « le Magazine littéraire » de ce mois, Charles Dantzig, que l'on a connu plus inspiré, tout fin et cultivé qu'il est, ou que je suppose il est, ne comprend pas Barbey et le réduit ainsi qu'il est coutume à notre époque qui ne connait que le trivial et aussi la bassesse des sentiments à des refoulements, des névroses, de la psy de comptoir, ne saisissant pas non plus la spécificité du catholicisme de l'auteur de « l'Ensorcelée », catholicisme qu'il semble percevoir de toute façon seulement comme un moralisme, un hygiénisme moral personnel et rien de plus.



Pour Dantzig, le dandysme de Barbey, son goût pour les beaux vêtements, n'est rien d'autres que le symptôme du déni de son homosexualité, d'un défaut de virilité qui serait à le lire l'apanage des homosexuels actuels. Il le dit finement et avec nuances, mais c'est malheureusement à cette conclusion qu'il arrive. D'Aurevilly serait au fond une « folle tordue » qui regrette de n'avoir pu porter les robes de sa mère. C'est méconnaître que l'origine du dandysme de cet auteur est dans sa morale aristocratique au sens premier du terme, qu'il s'agit de se distinguer du troupeau au risque de passer pour vaniteux.



Et ses personnages vivent tous selon les termes de cette morale bien différente de la morale commune, et moins hypocrite.



Il est normal dans ses livres que la fille d'un prêtre marié ait une croix de chair inscrite sur son front, que les roues d'une voiture de deux amants passionnés prennent feu tellement elles tournent vite dans « Une vieille maîtresse », que les chouans normands du « Chevalier Destouches » punisse un traitre en l'attachant aux ailes d'un moulin, qu'une grande dame déchue à cause d'un amour perdu devienne prostituée derrière un rideau cramoisi y trouvant une vengeance envers tous les hommes, que l'on puisse jouer ce que l'on veut pendant une partie de cartes, y compris son âme.



littérature, Barbey, société, christianisme Une époque épaisse, confite dans sa suffisance, un vague humanitarisme et sa sottise matérialiste, ne peut voir ce que l'écrivain exprime par ses exagérations, et que la création littéraire n'a pas à être aussi grisâtre que la vie peut l'être.



Dans ses « Souvenirs Littéraires », quand il décrit les tenues de « ce diable de Barbey » Léon Daudet insiste bien sur le fait que tout extravagant que soit parfois son accoutrement il n'était jamais ridicule car le « verbe haut et sifflant du vieux viking » l'emportait largement sur les moqueries ou les envies de raillerie, provoquant souvent l'émoi des femmes présentes et auteur d'exploits galants divers et variés.



Selon Charles encore, il y aurait un paradoxe frappant entre les thèmes et le style des livres de Barbey, son goût pour décrire des passions charnelles et parfois sanglantes, des assassins qui restent impunis, des prêtres apostats, et sa foi.



Comme si au fond un auteur catholique ne devrait produire que de gentils livres exemplaires sur des personnages qui ne le sont pas moins, tout en moralisant les dérives morales.



Les écrivains catholiques selon Dantzig devraient donc tous écrire comme Guy de Larigaudie, cet auteur pour jeunes filles de bonne famille, parfaitement illisible, ou Serge Dalens, le créateur du « Prince Éric » dont la lecture peut cependant mener à devenir adulte un « anar de droite » indécrottable et sans remords.



Les bons sentiments n'ont certes jamais fait de la bonne littérature ainsi que l'affirmait pertinemment Gide, tout comme la moralisation à outrance, quelle que soit son origine, les grands sentiments non plus. Et chez l'auteur des « Diaboliques » il ne s'agit pas non plus de grands sentiments, mais d'un « travail du négatif » (TM°).



Charles ne semble pas comprendre qu'il y a du Huysmans en Barbey, et oublie que l'on retrouve cette noirceur chez les grands écrivains catholiques, ainsi chez Bernanos, qui ne font que décrire crûment la réalité des sentiments exprimés par le « pitoyable primate humain » bien souvent lamentable, car refusant avec force le plus souvent la rédemption, en particulier celle qui lui est donnée par le divin, pour des raisons futiles, dont la peur de perdre le respect des voisins ou d'abandonner son confort intellectuel.



Si le catholicisme de Barbey est effectivement « tranquille » c'est parce que celui-ci n'a strictement aucune espèce d'illusions sur la nature humaine mais qu'il sait qu'au-dessus de cela, de toute cette médiocrité, il y a malgré tout l'amour divin, totalement gratuit et incompréhensible dans le sens que le comportement de l'être humain ne justifie que très rarement cet amour de Dieu.



Cela dit, je n'en veux pas à Charles Dantzig de s'être trompé sur toute la ligne sur d'Aurevilly, car cela m'a permis de lui répondre et évoquer la morale aristocratique de cet auteur, son rejet de la bassesse de sentiments, ce qui revient à réagir de la meilleure manière qui soit à la bêtise actuelle.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: Romans

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Romans".