L'Étranger (BD)
de Albert Camus, Jacques Ferrandez (Dessin)

critiqué par Le rat des champs, le 18 avril 2013
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Sacrilège?
2013 est parait-il, l'année Camus. Alors, mettre en bédé ce que beaucoup considèrent comme son chef d'oeuvre, "l'Etranger" pourrait faire hurler les puristes, d'autant plus que ce livre est publié par un éditeur aussi vénérable que Gallimard, mais il faut reconnaître que c'est couillu.

Bien sûr, la lecture de cette bande dessinée ne dispense pas de la lecture du livre qui l'a inspiré, et elle doit être prise comme une re-création, un complément utile et beau à un sommet de la littérature du XXe siècle.

Trahison, sacrilège? A mon avis, vraiment pas. Jacques Ferrandez bien connu pour ses "Carnets d'Orient" était "le" dessinateur à choisir pour illustrer ce monument de la littérature, et son dessin élégant se plie étonnamment bien au texte et à la psychologie froide de Meursault. Cet immense artiste réussit la gageure de nous faire sentir la chaleur algérienne, l'insensibilité de Meursault, l'énergie de son défenseur, la hargne du dialogue entre Meursault et le prêtre venu le visiter en prison... Et que dire alors de la jolie et tendre Marie dessinée avec tant de sensualité? Du grand art, vraiment, et je vois peu de dessinateurs capables d'une telle performance.
Très agréablement surpris 9 étoiles

J'avais envie depuis longtemps de relire Camus. Pourtant, bien qu'amateur de BD, j'ai longtemps repoussé la lecture de cet ouvrage sous cette forme. Comment pouvait-on retranscrire l’univers de Meursault ? Comment pouvait-on refaire la scène du crime ?
J'ai franchit le pas en allant à la médiathèque : j'avais vu le livre plusieurs fois déjà, je pouvais l'emprunter et me faire une idée.
Et là je dis : bravo !
Magnifique ! Evidemment, on voit Meursault, ce qui change de l'image qu'on s'en était faite ... Mais on voit, ou plutôt on ne voit pas, le soleil qui écrase tout : le ciel est le plus souvent blanc, tellement son intensité aveugle. Mais il est omniprésent, ainsi que la chaleur.
Et cette absurdité, cette absence de réaction de la part de Meursault, cette absence de révolte ! Jusqu'à la scène avec le prêtre ...
Tout y est. En dessins magnifiques. Merci Mr Ferrandez.

Klein - - 60 ans - 7 avril 2014


Surprise dans les deux sens 8 étoiles

Appréciant cette œuvre pour l'avoir lu maintes fois et profitant du centenaire de Camus pour faire le tour de sa bibliothèque, je me suis fait un petit plaisir en m'offrant cette BD.
J'ai d'abord été surprise par la qualité de l'adaptation. La retranscription du texte presque au mot à mot est fort appréciable. Le dessin y est d'une justesse surprenant notamment dans la retranscription de l'indifférence de Meursault et de la chaleur écrasante du paysage. J'ai été séduite par les personnages, le crayon leur donne un véritable coup de jeune car le portrait mental que je m'en faisait n'était pas du tout semblable. Une réussite!
J'ai pourtant été fort déçue par la scène finale de l’aumônier et des dernières pensées de Mersault. Autant la reprise du texte original avait été jusque la réussie, autant le découpage de ces passages est mal réalisé et décevant (cf "j'avais les mains vides" en discours direct qui m'a particulièrement choquée). Toute la tirade du passage de l’aumônier est "bâclée", ou du moins non représentative pour moi. Le message de l’œuvre, la philosophie de l’absurde s'en trouve inachevé, inexprimé.
Une superbe adaptation qui dénote par sa fin

Junos2005 - - 33 ans - 14 janvier 2014


Quel talent !!! 10 étoiles

« Aujourd’hui, maman est morte… ou peut-être hier, je ne sais pas… »

Tous les lycéens y sont passés, souvent sous la contrainte d’une lecture obligatoire et sans aucun plaisir. Pourtant, on y revient souvent et ce roman fait partie intégrante des ouvrages qui marquent : il y a un avant, il y a un après L’Etranger !

Camus est un homme de lettres particulier car il est difficile à classer. Romancier, journaliste, philosophe, dramaturge, nouvelliste, essayiste, il est un peu tout cela et il est difficile d’entrer dans son œuvre de façon définitive et totale. Chacun trouve sa porte d’entrée, chacun choisit ses livres préférés… J’aime tout particulièrement son théâtre – Caligula et Le Malentendu sont pour moi deux textes importants – et L’Etranger est un de mes livres préférés, pas seulement chez Camus, dans toute la littérature… du moins dans celle que j’ai eu plaisir à lire ce qui limite le champ…

Etait-il possible d’adapter un tel roman en bande dessinée ? Certains sont convaincus que c’était impossible et iconoclaste, mais seulement parce qu’ils n’aiment pas la bande dessinée… Moi, j’étais plus prudent. J’aime beaucoup ce mode narratif qu’est la bande dessinée, mais je me disais que, pour réussir ce travail, il fallait un grand de la bédé, un amateur de Camus, un homme de la Méditerranée… Et qui, mieux que Jacques Ferrandez, pouvait réussir une telle opération ?

Jacques Ferrandez est pied-noir, pas un homme réactionnaire et engagé politiquement pour que l’Algérie redevienne française, non, un homme qui a senti ce soleil de la Méditerranée, dont la famille a travaillé cette terre, a respiré cet air, a mangé épicé comme là-bas… Il est de la même veine qu’Albert Camus, il pouvait donc le comprendre sans le trahir…

Son graphisme nous a déjà accompagnés durant les merveilleux albums des Carnets d’Orient qui nous ont raconté et fait vivre l’histoire de cette terre durant cette aventure française. Dans Alger la noire, il nous a plongés dans ces temps dramatiques de la fin de la période française avec la souffrance déjà annoncée par Camus… Il ne restait plus qu’à s’approprier L’Etranger et nous inviter à un voyage initiatique chez Camus lui-même, chez l’homme tout simplement, celui qui est face à son destin et son absurdité…

Raconter L’Etranger, l’adapter en bande dessinée, c’était prendre le lecteur et le faire entrer dans un monde, dans un univers qui est bien plus que des mots : il fallait lui tenir la main et l’accompagner pour qu’il touche, qu’il sente, qu’il goûte, qu’il observe, qu’il entende un pays, une terre, une population… Et c’est totalement réussi !

Dès la première page, on n’est plus dans un semblant de reformulation verbale, on est dans de la bande dessinée, de la grande bande dessinée. Le dessin de Ferrandez dégage immédiatement cet air d’Alger et on monte avec Meursault dans le bus pour aller rejoindre l’asile où est morte sa maman… On n’a même plus besoin des mots, tout est là et on oublie notre vie pour ne plus vivre qu’avec ce personnage étonnant et déroutant…

L’adaptation est, pour moi, parfaite, mais comme chaque fois dans une telle situation, il ne s’agit plus de L’Etranger de Camus mais bien de L’Etranger de Jacques Ferrandez d’après Camus. Je crois pouvoir affirmer que Ferrandez est resté très fidèle à l’écrivain lauréat du prix Nobel de littérature en 1957 et à son texte.

Certains personnages sont d’ailleurs plus abordables et compréhensibles dans cette version bédé, comme, par exemple, Meursault lui-même et Marie… En fait c’est probablement parce que ces personnages sont devenus ceux de Camus humanisés et incarnés par Ferrandez ce qui n’est pas rien…

Attention, il ne faudrait surtout pas croire que la bande dessinée ait transformé le drame absurde de Camus en comédie burlesque. D’ailleurs, les dernières pages sont peut être encore plus fortes que dans le roman car le jeu des couleurs assombrit considérablement le destin humain…

En fait, je crois que cette adaptation magnifie et grandit encore le roman de Camus qui était déjà placé très haut dans le cœur de nombreux lecteurs. Il fallait vraiment que Jacques Ferrandez ose ce travail, prenne ce risque, et c’est était un, pour que nous puissions mesurer la qualité étonnante de ce texte et le génie de cet auteur de bandes dessinées qui lui aussi peut dire : « Je suis auteur d’Algérie, de la même terre qu’Albert Camus ! ».

Shelton - Chalon-sur-Saône - 67 ans - 26 octobre 2013


Un bel hommage au roman de Camus 9 étoiles

Fidèle au roman, cette bande dessinée est une magnifique adaptation du célèbre roman de Camus. Comme Le Rat des champs, je pense aussi que Jacques Ferrandez est sans doute l'artiste qu'il fallait pour rendre compte de cette atmosphère si particulière.

Les dessins sont parfaits et au service du texte. Jacques Ferrandez maîtrise son art, dramatise les scènes avec habileté en jouant avec la dimension des vignettes et les couleurs. Le lecteur retrouve toutes les scènes frappantes du roman et leur dimension tragique ( Salamano et son chien, meurtre de l'arabe, scène absurde du procès ... )

Le personnage de Meursault est plus accessible que dans le roman. Le lecteur est moins surpris ou décontenancé par les actions ou les pensées du personnage. En dessinant les expressions de son visage, le lecteur est quelque peu orienté sur les intentions de l'auteur.

Une oeuvre de qualité, un bel hommage à Camus !

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 26 avril 2013