Le choix antérieur d'un futur simple

Voici le récit romancé (mais sonnant bien juste) de l’ensemble de la vie d’un instituteur d’un village auvergnat. Nous faisons connaissance des conditions de l’ensemble de son parcours professionnel que le lecteur attentif à certains indices peut situer des Années folles aux premières années des Trente Glorieuses, bref le deuxième et troisième cinquième du XXe siècle.

Les conditions dans lesquelles son père le laisse déserter la terre sont bien typiques de la mentalité des paysans pauvres et il faut de plus tous les trésors de débrouillardise du directeur de l’école pour obtenir que la scolarité à l’École primaire supérieure (qui préparait au brevet élémentaire) ne coûte strictement rien à la famille pour que son père accepte que notre personnage franchisse ce premier palier, qui était alors une étape obligatoire pour la réussite au concours de l’école normale.

C’est dans le village d’où il est issu qu’il commence et termine sa carrière, ceci n’est pas rare et en particulier dans les régions de l’Ouest de la France où face à la concurrence scolaire, le préfet (sur les conseils de l’inspecteur d’académie lui-même saisi par l’inspecteur primaire) facilitait largement de telles demandes. Le destin (décès inattendu d’une enseignante) veut d’ailleurs qu’Ernest Pérochon débute dans une école de Courlay (près de Bressuire) où il a été élève. Notre auteur poitevin conte de façon à peine romancée sa première année de classe dans "Le Chemin de plaine". "Un passé pas si simple" et "Le Chemin de plaine" sont deux ouvrages qui se complètent puisque avec Ernest Pérochon l’action se situe vers 1905. "La maîtresse d'école : Trente années de la carrière d'une institutrice" de Robert Massin (avec une action en Eure-et-Loir) recoupe en grande partie la période évoquée dans "Un passé pas si simple".

La vie tranquille mais passionnée du héros d'"Un passé pas si simple" est interrompue par la mobilisation de l’été 1939, toutefois il parvient de justesse à échapper au tragique sort d’un million de Français qui se retrouvèrent près de cinq ans prisonniers des Allemands. Les relations qu’entretient le personnage principal avec le reste de la population du village sont bien particulières du fait qu’il est issu de cette localité. En évoquant un ami de celui-ci on prend conscience que le parcours habituel d’un instituteur (même issu de la campagne), à la fois pour l’avenir de ses enfants (une scolarité sans frais prohibitifs d’internat) et pour une très relative amélioration pécuniaire mène alors de l’école de village soit à la direction d’une école à la sous-préfecture ou à la préfecture, soit à la responsabilité d’un cours complémentaire (classe de niveau collège regroupant des élèves à conduire en trois ans au brevet élémentaire) partie prenante d’une école primaire, soit à l’accès au titre de professeur dans une École primaire supérieure.

Il mène sa classe unique avec énergie et n’hésite pas à s’inspirer des méthodes de l’École moderne promues par Célestin Freinet :

« un projet qui lui tenait de plus en plus à cœur où il imaginait les élèves ne plus travailler chacun à sa place et sous sa houlette mais par groupes, seuls, guidés de loin et maîtres de leur initiative au lieu d’être serrés de près par un programme et des horaires ». (page 76)

Outre le plaisir de lecture d’un roman, ce livre nous permet d’approcher certaines conditions de scolarité à une époque donnée et relativise fortement le mythe de l’élitisme républicain.

• 

  Un passé pas si simple

  de Roucarie, Philippe
  Créer / ROMAN CAMPAGNE
  ISBN : 9782848190174 ; 20,00 € ; 06/05/2004 ; 229 p. ; Broché

  Go Amazon