La fin : Allemagne 1944-1945
de Ian Kershaw

critiqué par Herve2, le 3 avril 2013
( - 54 ans)


La note:  étoiles
Vivisection d'un régime à l'agonie
Après l'hallucinant ouvrage sur le maître du IIIème Reich, Ian Kershaw se penche sur une question qui n'avait semble-t-il pas encore été posée et étudiée en des termes aussi précis : "suite à l'attentat de juillet 1944, pourquoi et comment le régime hitlérien put-il tenir tant de mois bien qu'étant à l'agonie" ?
L'ouvrage étudie chaque piste, dissèque chaque fait, recoupe un nombre vertigineux de références, donne des pistes et apporte une réponse qu'il veut la plus juste possible. Au final, un travail de titan condensé sur 500 pages, précis, austère, aux antipodes du souffle de la biographie d'Hitler mais diablement instructif, sur les ressorts d'une machine qui se perdit dans les abimes de l'horreur, jusqu'à vouloir la fin de sa propre population si la guerre ne pouvait être gagnée.
Edifiant.
Somnambules dans la catastrophe 6 étoiles

L'ouvrage de Ian Kershaw est truffé de références, de détails, appliqués à la chronologie de la dernière année de guerre du côté allemand. La politique, l'armée, la police, le parti nazi, la population, l'industrie, l'administration, les hiérarques du régime, sont replacés à la manière d'une structure pyramidale avec pour clef de voûte le personnage inamovible d'Hitler. Cependant une structure, au-delà de sa forme spécifique est constituée de matériaux et de forces résidant entièrement dans les individus qui la constituent.
On parle d'obéissance, d'honneur, de patriotisme, de fanatisme, de résignation, de fatalisme, d'aveuglement, de férocité, de bestialité, de peur, de culpabilité, de lâcheté, de culte de l'ordre et de l'obéissance, mêlés inextricablement en chaque Allemand comme dans l'ensemble du corps social, au point que la distinction commode que certains s'efforceront de légitimer après guerre entre Allemands et Nazis, ne tient pas, ne peut pas tenir. Car l'émergence et la propagation d'une telle idéologie trouve largement ses traits spécifiques dans lhistoire et la culture de l'Allemagne.
Kershaw s'interrompt à la lisière de son problème : l'analyse du "pourquoi" d'un véritable suicide collectif que rien n'a pu interrompre. Il s'en tient au "comment". Car on ne devient pas ce que chaque Allemand/Nazi est devenu entre 1933 et 1945, par un processus surgi ex nihilo. Si la chose a pu germer, c'est que le terreau était fécond depuis longtemps, bien avant 1918. Il eût fallu creuser l'histoire allemande, sa culture depuis les légendes germaniques anciennes jusqu'aux fumées du Romantisme, la manière dont les religions ont guidé la collectivité, l'influence du mode d'éducation des jeunes, les traits anciens et permanents de la psychologie collective et les racines d'une raideur doctrinale présente pratiquement dans tous les domaines du savoir et de sa reproduction, y compris la philosophie à partir des débuts de la modernité (XVIe siècle), dont un Nietzsche a par ailleurs dénoncé la dérive idéaliste au XIXe siècle...sans effet d'ailleurs, puisqu'il a été lui-même récupéré par les nazis.
On reste sur sa faim, quelque fouillé que soit l'ouvrage et on s'interroge encore tant la solution de l'énigme aurait, même de nos jours son utilité.

Radetsky - - 81 ans - 16 juin 2014