Célébration d'un mariage improbable et illimité
de Eugène Savitzkaya

critiqué par Kinbote, le 10 février 2003
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Sorcier des Lettres
On plonge dans ce livre comme dans un bain de poésie, bouillonnant d'images, qui créerait dans ses vapeurs un monde étrange, ensorcelant, piquant et savoureux comme un soupe de sorcière.
Eugène Savitzkaya a tout du sorcier des Lettres qui mélange les mots pour donner à goûter une mixture un peu amère, un peu poivrée, en réunissant dans une même séquence écrite pétales et os, sang et liqueur, trou et étoiles, aliments et éléments, trivialité et vertus morales.
« .je te ferai frire des oignons dans du beurre, avec du sel, avec du pain, je mettrai des étoiles par-dessus et de la craie et puis du sable (pause) je ferai bouillir du veau, dans le bouillon mettrai du chou, de la betterave et des poireaux, avec le veau ferai des chaussons, et nous aurons chaud sur le poêle, sous la couette de plumes tes vieux os contre mes vieux nichons, irons à l’étuve, boirons de l'hydromel et baiserons tant et plus comme baisent dindes et dindons, je t'aime tant vieil édredon »


Il nous convie à un festin donné à l'occasion d’un mariage grandiose, effectivement improbable, et donc sujet aux « illimitations » de la mémoire et du rêve, aux associations les plus invraisemblables de traits communs et contraires comme, somme toute, dans les mariages « ordinaires ». Extension du domaine du mariage à l'espace indéfini de la poésie.
A tour de rôle, des convives perchés sur des arbres différents (orme, bouleau,...) prennent la parole pour honorer les époux et leur famille, participer à la fête, apporter leur contribution verbale.
Un chant tourbillonnant de feuilles ou d’insectes couvre régulièrement les voix des questions métaphysiques et farfelues qui, en combinant les termes de la question-source, fournissent une cascade bruyante d’interrogations propre à donner le tournis, à brouiller la vue et le sens de toute question. « Vivons-nous ? où vivons-nous ?
de quoi vivons –nous ? comment vis-tu ?
vis-tu ? où es-tu ?
où étais-tu ?
Qui tétais-tu ?
qui te tétait ?
qui tétait ?
tétais-tu ?
que tétais-tu ?
tétais-tu là ? .»
Une voix sortant d'un grand tonneau s’oppose à la fin à ce mariage pour prendre sur elle la responsabilité du grand Tout, « . de l'air, de la pierre et du sable, de la terre ,de l’ordre et du désordre, du bas et du haut et de l’infini ». Puis le bourdonnement interrogateur couvre à nouveau cette voix sortie de nulle part pour relancer son ballet incessant...
Sur la couverture blanche, sous le titre imprimé en bleu, il est écrit « roman ». Suite à quoi, on peut se demander : « Est-ce un roman ? Qu'est-ce qu'un roman ? Qui écrit un roman ? Ecrit-on un roman ? Quel roman écrire ? La vie est-elle un roman ? Ta vie est-elle écrite ? Comment commencer à vivre ?.»
Objet Ecrit Non Identifiable 10 étoiles

Magnifique. A lire à haute voix au bord de la mer. On a l'impression d'assister et de participer à une immense bacchanale. Je n'avais pas lu grand chose de semblable depuis une éternité. C'est court, mais fort.
"La compagnie : à l'homme qui se donne à la femme,
à la femme qui se donne à l'homme,
à l'enfant qui s'adonne au temps,
au temps qui passe sans remplir aucun seau
(pause)
à la main qui a porté le sel,
à la langue qui a dissout le sel".

Eireann 32 - Lorient - 76 ans - 12 mars 2005


mélopée 9 étoiles

Oui, magnifique. Musical. A lire à haute voix. Magnifique.
dans "Sang de chien", deux textes m'avaient fait cet effet. dans "Célébration..." c'est le livre entier. ("Sang de chien" : à lire, mais épuisé, je crois)

Leonie - strasbourg - 61 ans - 9 janvier 2005


La magie de la langue 10 étoiles

Bon, c'est bien ma chance : Kinbote m'a précédé dans la lecture de "Célébration, etc." Et sa présentation du livre est excellente.
Est-ce un roman ? C'est un roman d'aujourd'hui. Brillant.
Une tragédie ? Peut-être, avec le choeur des Convives, au coeur du Temps.
Un recueil de poésie ? oui, si nous n'oublions pas les critères de la fonction poétique du langage (proposés par JAKOBSON en 1963 dans son "Essais de linguistique générale", comme par hasard publié également par les Editions de Minuit).
On trouve en effet dans cet ouvrage les récurrences de structures et les équations approximatives (rapprochement des mots en fonction de leur forme sonore et de leurs sens).
Un ouvrage philosophique ? Peut-être ! En effet, les questions fondamentales sont posées...
Une farce ? Qui sait ?
Bonne lecture à tous.

Thomas Fors - Beloeil - 88 ans - 17 juillet 2003