L'imposture scientifique en dix leçons
de Michel de Pracontal

critiqué par Elya, le 27 mars 2013
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
« La démarche scientifique exige une ascèse de l’esprit qui nous éloigne de nos schémas mentaux familiers »
Michel De Pracontal est journaliste scientifique. Son livre L’imposture scientifique en dix leçons parait pour la première fois en 1986. Presque 20 ans plus tard, en 2005, une édition revue et augmentée est éditée. L’auteur nous précise dans une nouvelle préface qu’il n’a pas eu grand-chose à modifier tant ses propos de 1986 sont encore cruellement d’actualité ; ils le sont peut-être même plus encore. « Loin de se présenter comme un phénomène marginal, l’imposture scientifique tend à devenir aujourd’hui la norme intellectuelle, et c’est la démarche scientifique qui apparaît comme une pratique déviante » ; malheureusement, le front de ce phénomène n'a pas pris une ride depuis la première écriture de cette phrase en 1986.

L’auteur part du constat qu’il est difficile de départager le vrai du faux et d’user de son esprit critique dans notre société à cause de différents facteurs comme la surmédiatisation de la « culture », la dictature du marché et de l’audimat, le taux d’adhésion élevé de la population aux « parasciences » ou encore le nombre de fraudes scientifiques. Le développement des sciences et des techniques au fil des siècles a malheureusement plutôt favorisé les croyances surnaturelles que le recours à la démarche scientifique, pourtant la seule à « Rendre objective une partie de la réalité, construire un ensemble de faits cohérents en essayant d’introduire le moins de distorsion possible ».

Chaque chapitre est alors l’occasion de nous présenter quelques caractéristiques des « fausses sciences » ou de la « science fausse ». D’autres auteurs désignent ces disciplines par le terme de « pseudo-sciences » (voir Popper, Conjectures et réfutations ou Bunge, What is pseudoscience?). Ce long extrait définit bien ce sur quoi Pracontal disserte :

«il n’y a pas de commune mesure entre la fausse science et la science fausse. La première n’est qu’un simulacre, alors que la seconde implique une réelle démarche scientifique, même si elle est pervertie. Si l’on compare la science au jeu d’échecs , le fraudeur est un joueur malhonnête qui déplace une pièce à l’insu de son adversaire, pour améliorer sa position. Il connaît la règle, mais la transgresse. L’arbitre, l’autre joueur ou un témoin peuvent constater la tricherie. L’imposteur de la science fictive se comporte, lui, comme s’il ignorait les règles du jeu. Il applique ses propres règles, il peut déplacer un cavalier comme si c’était un fou, ou remplacer le roi par une balle de golf. Dans ce type d’imposture, il n’y a pas de jeu possible. L’arbitre est réduit à l’impuissance puisque ses règles ne sont pas connues. Malgré cette opposition, les deux catégories partagent un trait commun : le refus de la réalité, que ce soit par la fuite dans le langage ou le trucage des faits ».

L’auteur a souvent recours aux métaphores et à l’analogie comme en témoigne cet extrait. Un procédé qu’il critique justement lorsqu’il est employé par des gens prétendant à la scientificité d’une théorie ; ces procédés stylistiques n’ont qu’un intérêt explicatif et non démonstratif. Il dénonce aussi les tournures rhétoriques de certains discours, le verbiage, la confusion entre corrélation et causalité, l’argument d’autorité, les conflits d’intérêts, les biais expérimentaux… Ces artifices sont décortiqués à l’aide d’exemples pris dans l’actualité de ces dernières décennies, relatés par des revues grand public comme Sciences&vie ou par la presse en général : l’affaire du sang contaminé, la mémoire de l’eau, le créationnisme…

On reconnaît tout de suite la profession de journaliste de Michel de Pracontal à son style, qu’il tente d’agrémenter de quelques calembours et devinettes, un humour auquel je suis peu réceptive mais qui rend tout de même le livre distrayant. Ce livre est très accessible bien qu’il y ait certaines longueurs quand l’auteur s’attarde trop sur certaines « affaires ». Il permet sans doute de mettre le pied dans une discipline dont le nom seul peut rebuter : l’épistémologie.
C’est un excellent livre de vulgarisation pour tous ceux qui s’intéressent à la science en tant que démarche intellectuelle ou corpus de connaissance. L’auteur nous montre en quoi « la démarche scientifique exige une ascèse de l’esprit qui nous éloigne de nos schémas mentaux familiers » ; il est donc opportun de se réaliser de temps en temps des petites piqûres de rappel à l’aide de livres comme celui-ci.