Crépuscule irlandais
de Edna O'Brien

critiqué par Alma, le 25 mars 2013
( - - ans)


La note:  étoiles
« Telle est la lamentation des mères »
« Un cri qui sent la solitude du soir, la soirée esseulée des mères qui disent que ce n’est pas notre faute si nous pleurons, c’est la faute de la nature qui nous a faites d’abord pleines, puis vides. Tel est le courroux des mères, tel est le cri des mères, telle est la lamentation des mères, qui n’en finit pas, jusqu’au dernier jour ». Ces 2 phrases, dans le prologue, donnent la tonalité de l’œuvre.

Alors qu’elle se prépare à partir pour Dublin pour y soigner un cancer, Dolly, 77ans, revoit son passé. Jeune fille, elle a émigré aux Etats Unis, y a servi dans de riches familles, puis s’est résignée à rentrer en Irlande pour y mener une vie modeste, bien différente de celle dont elle avait rêvé. A l’hôpital, elle attend désespérément la visite de sa fille Eleanora, une romancière à succès connue pour ses ouvrages sulfureux, à qui elle a régulièrement adressé des lettres pleines d’un amour fiévreux mais déçu. Quand enfin, Eléanora arrive, c’est pour une visite éclair à l’issue de laquelle elle oublie dans la chambre de sa mère son journal intime qui révèle un passé tumultueux de femme libérée.

Un roman constitué de leurs deux vies entremêlées, sans souci de chronologie. Le lecteur est mis à contribution pour reconstituer le puzzle du récit , pour en combler les ellipses, mais le résultat est à la mesure de ses efforts. Il découvre alors un roman poignant sur les relations mère/fille où se croisent différentes formes narratives : le récit des souvenirs, les lettres, le journal intime.

Deux voix se répondent. Celle de la fille, dont les lettres, accompagnées souvent d’une somme d’argent destinée à l’amélioration du confort de la maison dans laquelle elle revient rarement, sont froides, impersonnelles et ne contiennent pas, selon sa mère « de coeurs qui s’ouvrent et se rouvrent, comme autrefois ». Lui font écho celles que sa mère lui adresse, où transparaît, derrière la narration des menus événements quotidiens de la ferme, la souffrance de se voir rejetée par sa fille « Ca me fait mal, cette façon que tu as d’être si distance, toujours à courir loin de nous, courir et courir , vers où ? On a la lèpre ou quoi ? », des lettres que sa fille définit ainsi : « les lettres de ma mère, volcaniques et enflammées, indulgentes et féroces ».

Au travers du drame muet de deux femmes qui ont raté leur relation, qui n’ont pas su se comprendre, ce roman grave, intimiste, et pénétrant renvoie le lecteur au rapport qu’il entretient avec sa propre mère.
Longue balade 6 étoiles

Dilly, à plus de 70 ans, comprend rapidement que le zona dont elle souffre tant, n’est pas le seul responsable de son hospitalisation imposée.
Cette immobilité forcée permet aux souvenirs, heureux ou malheureux de remonter.
Sa jeunesse dans une Irlande en guerre, son séjour aux États-Unis, son mariage avec Cornélius, sa vie à Rusheen.
Puis plus tard, ses enfants qui s’éloignent d’elle. Son fils ne pense plus qu’à l’héritage, et Eleonora, sa fille dont elle était si proche mène à Londres une vie qu’elle réprouve, mais continuant à lui écrire régulièrement. "Petite transaction, exemple de leurs petites vies dans leurs petites maisons et leurs petits jardins, de leurs cœurs qui se contractaient jour après jour, s’infligeant de petites méchancetés les uns aux autres au lieu du bonheur qui leur était passé à côté."
La vie d’Eleonora n’est pas si heureuse qu’elle le laisse croire ; chaotique, faite d’humiliations, de rencontres variées, mais aussi du succès de ses livres où elle raconte la vie de son coin d’Irlande.

Si les derniers chapitres sont bouleversants, je me suis souvent perdue dans le récit détaillé des vies irlandaise et américaine. S’ajoute à ceci, un grand inconfort de lecture dû à la typographie, qui n’a pas aidé à la compréhension, n’ayant pas permis une immersion gratifiante ; je n’aurais d’ailleurs probablement pas terminé cette lecture sans la confiance aux critiques précédentes.
J’ai apprécié cependant les descriptions, paysages, personnages (même si je les trouve un peu trop nombreux), le personnage attachant de Dilly, sa souffrance d’avoir laissé sa fille s’éloigner.
Passée à côté d’une belle histoire, cela arrive...

Marvic - Normandie - 65 ans - 5 novembre 2019


Le County Clare, l'Irlande, mon sang ! 9 étoiles

Edna O'Brien (1930- ) est une romancière irlandaise. Son œuvre est souvent centrée sur les émotions intimes des femmes, sur leurs problèmes de relations aux hommes et à la société dans son ensemble. De par leur contenu, ses romans contestent ouvertement l'ordre moral et familial de l'Irlande catholique et nationaliste, contribuant ainsi à alimenter ce que l'on a appelé le révisionnisme culturel irlandais.
"The Light of Evening" (2006) est publié en français sous le titre "Crépuscule irlandais" (2010).

L'histoire d'une mère et de sa fille. Leurs vies ensemble, séparées et imaginées.
Ce sont principalement les très nombreuses lettres écrites par une mère à sa fille qui servent de socle au roman. Des lettres décrivant sa vie en Irlande et lui implorant de rentrer à la maison.
Dilly, une femme de 80 ans qui quitte une dernière fois son foyer pour rejoindre l'hôpital.
Eléonora, romancière à succès qui la visitera trop rapidement...

Une oeuvre simple et complexe à la fois, à l'image d'une relation mêlant tension et amour non exprimé.
Une vieille femme qui -même si elle ne l'avoue pas- vit ses derniers instants par procuration. Elle aurait tant aimé vivre comme sa fille, hors des conventions.
2 femmes, 2 visages différents mais tellement semblables d'une Irlande éternelle.

Une oeuvre puissante et sensible qui a mobilisé 3 ans de la vie de l'auteur.

Frunny - PARIS - 58 ans - 19 avril 2015