La République anticléricale : XIXe-XXe siècle
de Jacqueline Lalouette

critiqué par Macréon, le 7 février 2003
(la hulpe - 90 ans)


La note:  étoiles
Histoire de la Libre Pensée
Au XIXe siècle,la Libre-Pensée est associée à juste titre à un anticléricalisme pur et dur, à toutes les attaques contre Dieu, les dogmes et le clergé. Pierre Larousse (Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, publié entre 1866 et 1873) donnait sa définition de l'esprit clérical: " la raison bafouée, la lumière du soleil niée, la liberté maudite, le despotisme exalté, la négation des conquêtes de la science moderne, la haine de la dignité humaine,le retour aux sanglantes ténèbres du Moyen Age, en un mot, le contre-pied de la révolution".

La Libre Pensée, fondée en 1847, compta parmi ses membres les plus illustres des figures comme Auguste Blanqui, Victor Hugo, Littré, Aristide Briand, Clemenceau, Emile Zola, Romain Rolland, Edouard Herriot, Anatole France, Jean Jaurès, Bertrand Russel, Jean Rostand.

L'auteure de cet ouvrage est professeur d'histoire contemporaine
à l'université de Paris-Nord-13, et spécialiste des questions religieuses et politiques de la Troisième République . Elle décrit quelques parcours individuels d'anticléricaux de toutes nuances comme Louis Blanc , Ferdinand Buisson et d’autres dont des défroqués comme Victor Charbonnel (né en 1860). Ce dernier fut ordonné prêtre en 1885 et quitta la soutane en 1890.

En 1897, il adressa une lettre à l'archevêque de Paris: "il m’est impossible de rester dans une organisation ecclésiastique qui fait de la religion une habileté administrative, une force dominatrice, un moyen d’oppression intellectuelle et sociale, un système d'intolérance et non pas une prière, une élévation du coeur, une recherche de l'idéal divin, un soutien moral, un principe d’amour et de fraternité, enfin une politique misérablement humaine et non plus une Foi". Il affirmait néanmoins que le christianisme avait aidé l'humanité à prendre conscience de ses aspirations vers un idéal de justice et de solidarité fraternelle.
Charbonnel alla témoigner de ses nouvelles convictions libre-penseuses en donnant des conférences devant des salles pleines, souvent troublées par des contradicteurs ,
Il eut même des responsabilités nationales dans la Libre-Pensée dont l’exercice fut hérissé de difficultés, partiellement dues à sa qualité d’ancien prêtre.
D’autres défroqués connurent aussi des déboires tant il est vrai que changer de camp entraîne souvent de cruels désagréments.

Une figure intéressante, “ docteur subtil de la théologie laïque" ,est celle de Ferdinand Buisson. Il mourut en 1932, dans sa 91 ème année. Ses prises de position en matière d’anticléricalisme et de croyance firent l'objet de manifestations hostiles dans son propre camp et révèlent “ le caractère subtil nuancé, parfois sinueux de sa pensée". Jésus était pour lui le "maître galiléen" qui avait apporté aux hommes une “ prière nouvelle" rompant avec les formules magiques, les cantilènes rituelles des temps antérieurs. "Jésus-Christ est tout, les dogmes, eux, ne sont rien". (1865) “S’il fallait lutter contre le fanatisme religieux, le matérialisme religieux, le mysticisme religieux, il ne saurait être question de détruire la religion".

Un Edmond Lepelletier,qui préfaça un livre de Maurice Claverie (Immoralité de la morale chrétienne, 1891), indiquait que “ La véritable morale plane au dessus des cultes. Elle est immanente , elle est éternelle, elle est indépendante aussi. “

Gageons que ces propos pourraient être compris et appréciés aujourd'hui par nombre de nos contemporains de tout bord.
Ajoutons encore que vers 1880, un orphelinat de Cempuis prodiguait un enseignement moral “ ni polythéiste, ni monothéiste, ni déiste, ni panthéiste, ni athée".

Le journal " La Raison" (Fédération Nationale de la Libre Pensée) lança un nouveau programme en 1909.:" ce n’est plus par des lois nouvelles que nous prétendons ruiner le peu d’influence que garde encore l'Eglise, mais par la Science, les conférences savantes, les livres, les cérémonies. Jacqueline Lalouette, cette historienne de renom, complète cet état des lieux en ajoutant la laïcisation de l'école, des hôpitaux et des cimetières, la suppression de nombreuses congrégations et aumôneries,la séparation de l’Eglise et de l'Etat : le champ des mesures législatives et réglementaires pouvait donc paraître épuisé.

La Libre Pensée ( ou libre examen) s'était mise résolument du côté de la science et du progrès ;
pendant un demi-siècle ,son discours s’étoffa et se diversifia jusqu’à la veille de la Première Guerre. Mais les horreurs du conflit entraînèrent la mort de tous les espoirs de progrès et d'amélioration de l'humanité que la Libre Pensée avait fondés sur la science. Sauf exceptions, cette rupture provoqua, dit l'auteur, l'effondrement momentané mais durable des société de Libre Pensée.

Jacqueline Lalouette s'est amusée à concocter un petit lexique du libre penseur et anticlérical, "Les attaques contre les dogmes et le clergé loin s'en faut,n'ont pas toujours été exprimées en langage académique “ Par exemple, le vocable de prêtre était gratifié d'épithètes malsonnantes:
ratichon, corbeau, cureton, mamamouchi, punaise de sacristie, cafard, frocard, enfroqué, soutanier,tartuffe, les Hommes Noirs , (prêtres ou jésuites, ceux-ci étant l’objet de la haine et de la hantise des anticléricaux pendant tout le dix-neuvième siècle.)

Ajoutons que le livre comporte en fin de volume d'excellentes notices biographiques (une trentaine de pages)
Un philosophe comme Georges Palante, théoricien de l’individualisme et qui récusait une morale scientifique, estimait non sans pessimisme qu'à ses yeux, la société n’était finalement qu’une machine plus ou moins habile à mater et duper les individus. Et si c'était toujours vrai ?