Contes du chemin de fer
de Hamid Ismaïlov

critiqué par Montréalaise, le 2 mars 2013
( - 30 ans)


La note:  étoiles
Fantaisie ouzbèke
Hamid Ismailov est l'un des écrivains les plus célèbres d'Asie Centrale. Né d'un père kirghize et d'une mère ouzbèke, il est devenu tôt orphelin et a été élevé par sa grand-mère maternelle, alors que l'Asie Centrale faisait partie de l'Union Soviétique. Peu de temps après la dissolution de l'URSS et l'indépendance de l'Ouzbékistan, Ismailov a dû faire face à l'établissement d'une des dictatures les plus répressives de la planète dont le président, Islom Karimov, est encore le maître incontestable. Ce qui l'a poussé à fuir pour la Grande-Bretagne où il travaille encore aujourd'hui à la BBC.

Les «Contes du Chemin de Fer» racontent, dans un humour mordant et une affection nostalgique, la vie des habitants de Guilas, un village ouzbek, alors que le XXe siècle vient bouleverser le mode de vie millénaire et les croyances populaires. Sa manifestation la plus évidente est l'arrivée de l'impérialisme russe et avec, la construction du chemin de fer, ce monstre de ferraille qui au début traumatise les villageois mais va, peu à peu, ouvrir les yeux sur le monde et ses influences extérieures. Tout y passe : des voyageurs tziganes aux déportés coréens, des colons russes aux bergers kirghizes, des guerriers «basmachis» aux pouilleux anonymes... Le village devient un lieu de rencontres des cultures et des anecdotes savoureuses portant sur la religion, le sexe, le communisme, la guerre, l'enfance, la joie, la tristesse... Depuis le déclin des khans, ces légendaires «Iznogoud» orientaux, gardiens de la foi et des traditions soufies, en passant par les Przewalski de ce monde et les révolutionnaires bolcheviques, jusqu'à la Guerre Froide, Guilas devra s'adapter à ces profonds bouleversements socio-politiques.

Les Contes s'ouvrent sur l'histoire d'un garçon confié à un maître soufi qui voit l'arrivée des Russes comme une menace aux traditions de l'Asie Centrale et se terminent par celle d'un autre petit garçon de la fin de l'époque soviétique qui se fait circoncire devant tous les habitants de Guilas. Habitants dont chaque histoire unique est une aventure fantaisiste en soi et une plongée au coeur du XXe siècle centrasiatique.

Ce livre est un excellent début pour ceux qui s'intéressent aux moeurs ouzbèkes : simple, drôle, fantaisiste, il vous fera décrocher à chaque page un sourire aux lèvres.
Il était une fois... 5 étoiles

Ecrivain et journaliste d'origine ouzbèke, Hamid Ismaïlov a déjà quelques ouvrages à son actif lorsqu'au début des années 1990, il est forcé de s'exiler. Trouvant refuge au Royaume-Uni, il croise éventuellement Robert Chandler (poète et traducteur) qui bientôt traduira 'The Railway', le premier de ses écrits à paraître en anglais.

En grande partie composé avant l'exil, ce livre, ni recueil de nouvelles, ni roman, s'inspire de faits réels, d'anecdotes et autres histoires vécues ou entendues par l'auteur qui s'est servi de ce matériel ainsi que de son expérience personnelle pour imaginer et ensuite raconter par la voix d'un narrateur neutre, divers épisodes, chapitres de vie et autres scènes typiques et/ou représentatives de ce à quoi aura pu ressembler la vie dans une petite ville d'Asie centrale située, à l'époque où se déroulent ces faits (1900-1980), en République soviétique autonome du Turkestan (1).

S'appuyant sur une multitude de protagonistes dont les caractéristiques témoignent bien des aléas de l'histoire ainsi que des nombreuses vagues migratoires dont a fait l'objet cette région de la planète, les récits proposés dans ce recueil, centrés autour d'une petite ville appelée Guilas, s'intéressent donc principalement à ceux qui, parmi cette population variée, ont choisi le sédentarisme comme mode de vie.

Outre cette ville où le vivre ensemble est particulièrement prégnant, évoqué au long de ces récits, le cadre historico-politique, généralement placé en toile de fond, sert quant à lui à mettre en relief la manière dont tout un chacun tente de s'accommoder des circonstances dans lesquelles il évolue.

Teintés d'humour, de rocambolesque ou de fantastique, ces récits racontent la panoplie de petits arrangements auxquels l'humain sait si bien s'adonner; concertations silencieuses, amitiés et inimitiés, petites magouilles, conciliabules, amours blessés, mensonges, fidélités et infidélités, mariages improbables, escroqueries, petites et grandes violences, corruption, abus de pouvoir, bref autant de moyens auxquels hommes et femmes ont recours pour tenter de tirer leur épingle du grand jeu animant la société à laquelle ils participent.

En marge et parmi ce petit monde, un jeune garçon solitaire, orphelin de mère, abandonné par son père et élevé par sa grand-mère, tente à mesure qu'il grandit, de s'approprier cette réalité.

Cela dit, il est difficile, au-delà de ces quelques considérations, de résumer cet ouvrage d'autant plus qu'à l'exception de la Transcaspienne, -ligne de chemin de fer traversant la ville et le pays-, du contexte général dans lequel les différentes scènes se déroulent et de certains personnages récurrents, il n'existe que peu d'éléments liant ces récits les uns aux autres. Mais pris ensemble, ces morceaux apparemment disloqués forment une sorte de mosaïque à partir de laquelle on peut percevoir un relief, une impression, bref une image reflétant cette société que Hamid Ismaïlov tente de décrire.

Outre cette forme éclatée, le lecteur est également confronté à une structure narrative qui, -suivant un modèle s'apparentant plus à la spontanéité de la parole/pensée qu'au fruit d'un travail de conception littéraire-, imprime à la plupart de ces récits une forme sinueuse, parsemée de digressions et évoluant dans une direction semblant souvent incertaine; une structure qui non seulement surprend, mais peut aisément désorienter le lecteur. Ajoutons à cela, moult allusions (dont certaines font l'objet de notes explicatives (2)), de même que l'entrée en scène d'une succession de personnages, le tout s'accompagnant de brusques changements de propos ou de perspective et il n'en faut guère plus pour semer la confusion.

Nombreux, -une liste non exhaustive de près de deux cent noms et quolibets en témoigne (2)-, ces personnages, s'ils offrent une vision diversifiée et panoramique de ce coin de pays, n'en sont pas moins condamnés à n'exister qu'au moyen de quelques traits, si bien qu'entre leur nombre et la pauvreté de leur consistance, le lecteur peut difficilement établir une quelconque relation avec ceux-ci.

De la même façon, exception faite de la ligne de chemin de fer qui fait l'objet d'habiles descriptions, la ville et les lieux où se déroulent les diverses scènes souffrent d'une telle économie d'attention qu'ils ne révèlent, chez le lecteur non initié, que des images imprécises.

Bref, dérouté de même que maintenu à distance, j'ai eu de plus en plus de mal à m'investir dans cette lecture. Posant le livre à de nombreuses reprises pour essayer avec le recul d'en saisir, si ce n'est l'esprit qui l'anime, à tout le moins une part de ce qu'il tente d'illustrer, sa richesse me passant invariablement sous le nez sans que je ne parvienne à vraiment l'appréhender, j'ai fini par renoncer.


1. Aujourd'hui, cette ville serait située en Ouzbékistan.
2. Ce compte rendu est basé sur la version traduite du russe vers l'anglais par Robert Chandler.

SpaceCadet - Ici ou Là - - ans - 23 décembre 2018