La désertion de Pierre Yergeau

La désertion de Pierre Yergeau

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 26 janvier 2003 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 3 946  (depuis Novembre 2007)

Les Femmes existent-elles ?

Pierre Yergeau est né en Abitibi. Fidèle à son origine, il a entrepris en 1995 une oeuvre qui s'attache à sa région située à 600 km au nord de Montréal, région qu'on a commencé à habiter à partir du vingtième siècle. Avant lui, Bernard Clavel en avait fait son lieu d'inspiration. Il a décrit ce coin du Québec alors que l'on s'établissait le long de la rivière Harricana.
L'auteur québécois a pris le relai en ciblant plutôt les habitants que le développement de leur contrée. Le premier volume, L'écrivain public, racontait la vie dans un camp de bûcherons où les trois enfants, nés d'un trapéziste mort lors d'un saut périlleux et d'une chanteuse qui a abandonné ses rejetons, furent élévés par leur grand'mère, cuisinière pour ces travailleurs forestiers. Ensemble, ils formaient un groupe de lurons fort sympathiques jusqu'à la mort de l'aïeule.
La Désertion, le second volume, est consacré à la benjamine des enfants que Tse Tse, l'aide-cuisinier chinois, a emmené à Val d'Or, où il a ouvert un restaurant pour desservir cette ville prospère à cause de son
précieux minerai. Cet homme fut en fait son père, car le sien est mort avant sa naissance. Il l'a même initiée aux mystères de la biologie à son adolescence. Avec lui, elle mena une vie tranquille et devint la serveuse à son restaurant, fort couru d'ailleurs. Ce fut son malheur parce qu'elle y connut un jeune fainéant fort en panache, dont elle devint si amoureuse qu'elle eût six enfants en le mariant.
La mort de son mari, un alcoolique et un joueur compulsif,
apparut comme un soulagement. Sa vie ne se bonifia pas pour autant. Ses enfants l'abandonnèrent, et elle se retrouva, la vieillesse venue, déracinée et transplantée dans un hospice en banlieue de Montréal. C'est là qu'elle ressasse ses souvenirs pour occuper ses journées. On se promène ainsi dans son jardin secret sans suivre un parcours linéaire. L'espace et le temps s'entrecoupent, mais le puzzle prend forme.
L'auteur révèle un destin de femme, qui dépasse le simple récit. Il
montre avec discrétion comment cette femme n'a pu se réaliser. Sa vie fut une désertion : sa mère l'a abandonnée, son père est mort, sa grand-mère aussi, son mari lui a préféré le jeu, ses enfants l'ont conduite à l'hospice pour s'en débarrasser. Finalement, elle se retrouve seule, s'alimentant de souvenirs pour se prouver qu'elle a existé.
Ce roman trace l'itinéraire de bien des femmes de l'époque des années 1930-1960.
L'héroïne n'a vécu en somme que pour mettre six enfants au monde. Mission accomplie, au-revoir dans l'au-delà si l'on croit au ciel. Cette vie naît sous la plume d'un auteur dont le dépouillement se marie bien avec cette âme vidée de son essence. Yergeau ne conduit pas le lecteur de façon directive. Il lui laisse le soin d'apprécier cette existence frelatée en lui offrant une merveilleuse grille d'analyse.

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