Partir... de Michel Déon

Partir... de Michel Déon

Catégorie(s) : Littérature => Voyages et aventures

Critiqué par Jlc, le 8 février 2013 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 9 étoiles
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Partir, parole de vivant

Il y a une part d’infini dans cet infinitif, une part de rêve, un besoin d’ailleurs. Michel Déon n’a pas choisi « Partons » ou « Partez » qui sont des injonctions auxquelles ce Monsieur très bien élevé ne saurait se résoudre. « Je me suis beaucoup promené », « Bagages pour Vancouver », « Le flâneur de Londres », « Un taxi mauve », « Mes arches de Noé » sont autant de relations de voyages, de découvertes charmantes, d’amitiés d’un moment, d’empathies spontanées, de rencontres cocasses, de hasards qui sont autant de cadeaux pour qui sait regarder, écouter.

Olivier Aubertin qui avait déjà, pour la même collection Phileas Fogg, rassemblé un certain nombre de textes de Paul Morand a choisi avec l’auteur des articles publiés entre 1953 et 1985. Ce bouquet de souvenirs est un ravissement.

Aubertin qui a l’art du contre-pied a pris pour premier article celui qui commence par cette provocation : « On ne voyage pas pour son plaisir. Ce n’est pas possible ». Et de décrire tout ce qui a changé dans la façon de voyager. La situation ne s’est pas arrangée depuis trente ans. Hier on visitait l’Italie ou la Grèce et parfois on y posait ses valises un moment. Aujourd’hui on « fait » l’Italie ou la Grèce, cornaqués par des voyagistes pour qui prendre le temps n’est pas la préoccupation première. Ce bouquet de souvenirs se parfume aux fragrances de la mélancolie, mais une mélancolie heureuse, apaisée comme si l’auteur nous disait que ceci n’existe plus mais qu’il a eu la chance de le vivre.

Superbes pages sur la grâce des Espagnoles « qui sont des reines mais des reines dont l’orgueil masculin voile la royauté légitime », sur les embarras d’être hébergé dans une maison de plaisir quand il n’y a pas d’autres solutions, sur Madère dont les hôteliers s’étaient spécialisés dans les voyages de noces : « Aimez vous, nous ferons le reste ». Le font-ils toujours ? Londres et son art de vivre, les îles grecques où il faut « être à la fois pauvre, c’est à dire sans besoins, et riche c’est à dire libre de son temps», le Rajasthan où « il ne reste qu’un palais plus émouvant dans sa déchéance que dans son ancienne beauté ». Anecdotes réjouissantes comme celle qui fait dire à Morand qu’il a tenu une femme dans ses bras toute une nuit c’est à dire quelques instants (au Pôle Nord en juin) ou celle de cet inconditionnel d’Hemingway qui accompagnait sa lecture de tous les alcools consommés par les personnages de « L’adieu aux armes » ou « En avoir ou pas » et qui fut totalement dérouté par la sobriété du« vieil homme et la mer ». On ne peut terminer sans parler de Mademoiselle Joli Petit Pin, jeune artiste japonaise à New-York qui attendit en vain un signe et eut la grande délicatesse de disparaître doucement, sans l'espoir d'une autre rencontre.

Madame de Staël qualifiait le voyage de « plus triste des plaisirs ». Jolie formule mais inexacte. Partir c’est parole de vivant, comme l’a écrit Saint-John Perce car « les voyages partent du cœur et y reviennent ».

Ce livre vaut bien plus que Guide Bleu, Michelin ou Baedeker. Il est tout petit et se glisse dans un bagage, fût-il léger, pour voir le monde avec les yeux du bonheur.

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