Tévié le laitier de Sholem Aleikhem

Tévié le laitier de Sholem Aleikhem

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Débézed, le 3 février 2013 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
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"Va ton chemin !..."

Ce livre est tout d’abord un excellent travail de traduction effectué par Edmond Fleg, il a su rendre toute la saveur du discours du vieux juif ukrainien en puisant jusqu’aux sources du français usité par les juifs alsaciens pour trouver des formules capables de restituer les propos du héros. Un langage bavard, truculent, geignard, pleurnichard, imagé, adapté à l’oralité, encombré de référence bibliques et de citations de textes sacrés, un idiome un peu primaire mais tellement explicite. Le traducteur explique : « …pour rendre la saveur incomparable, il fallait chercher, plus près de nous, un jargon analogue. Ce jargon a existé : c’est le français émaillé d’hébraïsmes, de germanismes et de solécismes, que parlent peut-être encore quelques Juifs dans les milieux populaires d’Alsace. »

Dans cette langue si savoureuse, Tèvié (Tobie) raconte à Sholem Alei’hem (l’auteur ?) sa vie de misère en Ukraine, dans la région de Yehoupetz (une région qui ressemble étrangement à celle que Jonathan Safran Foer a visitée pour retrouver ses origines), nom qu’il donne par dérision à la ville de Kiev. Une vie misérable qu’il gagne avec quelques vaches qui lui donnent un peu de lait pour fabriquer la crème et le fromage qu’il vend aux riches de la ville voisine. Cette vie serait supportable avec son fidèle compagnon, le vieux cheval qui tire sa charrette, s’il n’avait pas sept filles à marier. Sept belles filles intelligentes et pleines de santé qui attirent des prétendants qui ne correspondent pas forcément à ceux que Tèvié et sa Goldè attendaient, des fiancés correspondant à leur statut, à leur manque de fortune et surtout à leur religion. Les mésalliances ne sont pas admises dans la communauté juive ukrainienne.

Et pourtant, leurs filles leur imposent des maris les plus improbables, les moins acceptables : un pauvre tailleur, un révolutionnaire, un goï, …, que Tèvié finit toujours par accepter et par faire accepter à son intransigeante épouse par une explication dont il a le secret. Il privilégie toujours le bonheur de ses filles au détriment de la rigueur religieuse et sociale de la communauté, laissant le soin à Yavé de veiller sur le destin de ses créatures. « Voilà comme elles sont : quand une fois elles cuisent dans quelque chose, elles cuisent avec le cœur ; et avec la peau et avec la vie elles cuisent ; et avec le corps et avec l’âme ! » Tèvié, lui, finit toujours par accepter le sort que Yavé lui réserve, se référant à la résignation et à la sagesse millénaires du peuple juif. Cette résilience pourrait être aussi une grande ouverture d’esprit, un œcuménisme biblique et, en tout cas, une belle leçon de sagesse à l’intention des intégristes et extrémistes en tout genre. « L’homme qu’est-ce qu’il a de plus que la bête ? Rien, car tout est vanité ! »

L’argent, l’envie, la cupidité, l’appât du gain, le rêve de fortune évaporé, est un autre thème récurrent dans les propos de Tèvié. « Je sors mes roubles du coffre ; trois fois je les compte et trois fois je les recompte, et trois fois je lui dis que, cet argent, c’est mon sang, et le sang de ma femme, et le sang de mes enfants ». « Bref pour vous raccourcir… ! » Tèvié sait qu’il ne sera jamais riche mais il croit toujours que sa situation pourra devenir meilleure. « Et l’espérance, alors ? Et la confiance ? Eh bien, c’est juste ainsi, pas autrement : plus qu’il y a de la misère, plus qu’il faut de la confiance ; et plus qu’il y a de la pauvreté, plus il faut de l’espérance. »

« Il n’y a pas sur le monde une plaie qui ne se guérit jamais, une misère qui ne s’oublie jamais », quand Cholem Aleichem mettait ces mots pleins d’espoir dans la bouche de Tèvié, avant 1916, date de sa mort, il ne savait pas, le pauvre, que des plaies qui ne guériraient jamais et qu’on n’oublierait jamais, surviendraient bien vite.

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