Introduction à la psychanalyse
de Sigmund Freud

critiqué par Elya, le 31 janvier 2013
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
La psychanalyse, une science ?
Freud. Un nom quasi-universellement connu, constamment cité, et ce dans tous les milieux : scientifiques, historiques, artistiques, littéraires même (on trouve dans Le dictionnaire du littéraire, 3ème édition, d’Aron, Saint-Jacques et Vial une entrée sur la psychanalyse). Un nom et une oeuvre dont ont découlé une profusion de critiques aux contenus totalement antagonistes, un tel accusant la discipline de pseudo-scientifique (par exemple, Popper), un autre soulignant l’intérêt de revenir aux conceptions freudiennes (voir Jacques Lacan). Mais beaucoup de commentaires se rejoignent en reconnaissant l’importance de son œuvre dans l’histoire des sciences et de la culture, quelles que soient ses erreurs.

Plutôt que de lire les multiples interprétations de l’œuvre de Freud, allant dans son sens ou au contraire remettant en question la validité scientifique de la psychanalyse, il me semblait important de remonter à la source et de tenter de me forger mon propre avis sur une de ses œuvres phares, bien évidemment influencée par mes lectures antérieures et mes convictions personnelles.

J’ai choisi Introduction à la psychanalyse parce qu’il fait partie des 3 titres (avec Psychopathologie de la vie quotidienne et Cinq leçons sur la psychanalyse) disponibles gratuitement en e-book car entrés dans le domaine public. Sur ces 3 titres, il me semblait qu’il abordait de manière plus exhaustive et détaillée les prémisses théoriques de la psychanalyse. Découpé en 3 parties, une première sur les actes manqués, une seconde sur les rêves, et la troisième sur les névroses, il répond parfaitement à mes attentes.
Freud dès les premières pages signale qu’il a écrit ce livre pour les personnes qui ne connaissent la psychanalyse que de nom puis démontre durant ces 500 pages ses talents de vulgarisateur, et, surtout, sa rhétorique percutante.

En s’adressant directement à nous, lecteur, en nous vouvoyant, il n’hésite pas à nous interpeller et à écrire ce que ses propos peuvent susciter chez nous.

«Suis-je trop méfiant, en soupçonnant qu’au moment même où la psychanalyse surgit devant vous votre résistance à son égard s’affermit également ?»

Allant même jusqu’à adopter la même attitude envers nous qu’envers ses patients, nous affirmant que si nous ne saisissons ses propos, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous même.
« Nous le mettons [le patient] alors au courant des difficultés de la méthode, de sa durée, des efforts et des sacrifices qu’elle exige ; et quant au résultat, nous lui disons que nous ne pouvons rien promettre, qu’il dépendra de la manière dont se comportera le malade lui-même, de son intelligence, de son obéissance, de sa patience. »

Freud maîtrise l’art de relever des anecdotes de notre vie quotidienne qui nous interpellent et sur lesquelles nous nous questionnons, un peu à la manière des humoristes, mais les conséquences sont moins drôles, bien que le contenu de son livre soit aussi un sketch par moment.
C’est dans cette optique qu’il part de la définition des « actes manqués » (ces phénomènes « qui se produisent lorsqu’une personne prononce ou écrit, en s’en apercevant ou non, un mot autre que celui qu’elle veut dire ou tracer (lapsus) », entre autres) pour tirer de leur étude des résultats applicables à la psychanalyse.

Dès l’évocation de sa théorie des actes manqués, Freud révèle sa croyance envers le déterminisme de toute chose.
Selon lui, « en brisant le déterminisme universel, même en un seul point, on bouleverse toute la conception scientifique du monde ». Ainsi, les actes manqués, les rêves et même les névroses ont un « sens », une « intention », une « tendance », ils sont même des « faits nécessaires ».

Pourquoi pas. D’autant plus que Freud prétend que la psychanalyse est « un résultat objectif de travail scientifique ». Détaillons donc un peu cet aspect.

« Ce qui caractérise la psychanalyse en tant que science, c’est moins la matière sur laquelle elle travaille, que la technique dont elle se sert. On peut, sans faire de violence à sa nature, l’appliquer aussi bien à l’histoire de la civilisation, à la science des religions et à la mythologie qu’à la théorie des névroses ».

Nous devrions donc trouver une méthodologie d’approche des faits différente de celle communément admise par les scientifiques ; mais scientifique tout de même puisque Freud prétend que la psychanalyse est bien une science.
Le doute s’installe. Claude Bernard quelques décennies plus tôt démontrait au contraire l’importance d’élargir l’emploi de la méthode scientifique, expérimentale, en médecine si on voulait parvenir à une médecine scientifique (Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865).

Lorsqu’on s’interroge sur la façon dont Freud et ses collaborateurs ont testé la reproductibilité interobservateurs de l’interprétation des rêves, on trouve pour toute réponse « le raisonnement qui conclut des imperfections de l’interprétation à l’inexactitude de nos déductions trouve sa réfutation dans une remarque qui fait précisément ressortir comme une propriété nécessaire du rêve son indétermination même et la multiplicité des sens qu’on peut lui attribuer ».
Lorsqu’on se questionne sur l’exploitation de ses prétendus « résultats » d’observation, on apprend qu’il « tâche de confronter ces deux groupes de résultats et de les ajuster l’un à l’autre ».
Enfin on peut relever aussi la principale critique fait à l’égard de la psychanalyse : la théorie s’immunise contre toute réfutation ; l’« attitude négative à l’égard de la théorie de la réalisation de désirs n’est au fond qu’une conséquence de la censure des rêves ; elle vient se substituer chez lui aux désirs censurés des rêves et est un effet de la négation de ces désirs ».

Si Freud chamboule autant les principes de la méthode scientifique, il doit se baser sur de solides choses.

Freud recourt à l’analogie comme principal support de démonstration ; il compare par exemple le poirier et la fève à l’activité sexuelle de l’enfant. Or cette dernière tient plutôt de la figure rhétorique que de la démarche rigoureuse.
Il préfère également préserver ses sources et baser ses postulats sur des « on-dit » : « les médecins connaissent des cas où une maladie psychique a débuté par un rêve et où le malade a gardé une idée fixe ayant sa source dans ce rêve. On raconte que des personnages historiques ont puisé dans des rêves la force d’accomplir certaines grandes actions» ou encore sur des mythes : « cette connaissance nous vient de diverses sources, des contes et des mythes, de farces et facéties, du folklore, c’est-à-dire de l’étude des mœurs, usages, proverbes et chants de différents peuples, du langage poétique et du langage commun », dont on ne trouvera au passage quasiment jamais la référence. Ne pourrait-il pas y avoir un biais de sélection dans les histoires qu’il choisit allant dans le sens de sa théorie ?

L’auteur justifie la difficulté de démontrer la psychanalyse, « la conversation qui constitue le traitement psychanalytique ne supporte pas d’auditeurs ; elle ne se prête pas à la démonstration ». Il prétend qu’après les découvertes « révolutionnaires » de Galilé et Darwin,« un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine » grâce à la psychanalyse.

Il admet aussi la difficulté de comprendre et d’accepter la psychanalyse.
« Je vous montrerai que toute votre culture antérieure et toutes les habitudes de votre pensée ont dû faire de vous inévitablement des adversaires de la psychanalyse, et je vous dirai ce que vous devez vaincre en vous-mêmes pour surmonter cette hostilité instinctive ».

Mais à aucun moment il ne nous apporte des preuves quand au caractère scientifique de la psychanalyse.

Ce que je reproche à ce livre et par extension à la psychanalyse freudienne n’est pas tant le contenu des théories, l’importance accordée aux impulsions sexuelles, aux processus psychiques inconscients, au symbolisme des rêves. C’est plutôt la prétention de faire de tout ça une science, un « résultat objectif de travail scientifique ».