Le voyage de Felicia
de William Trevor

critiqué par Malic, le 29 décembre 2012
( - 82 ans)


La note:  étoiles
La jeune fille et le psychopathe
Felicia, jeune fille irlandaise, effacée et naïve a entamé une histoire d’amour avec Johnny, un garçon rencontré au mariage de son frère. Hélas, l’amoureux est parti rejoindre son travail en Angleterre, sans lui laisser son adresse, la faute à un malheureux concours de circonstances, du moins en est-elle persuadée. Tout ce que lui a dit Johnny, c’est qu’il travaille dans une fabrique de tondeuses gazon à Birmingham. La voilà donc partie pour l’Angleterre, à l’insu de sa famille. Arrivée sur place, elle se lance dans une quête interminable, obstinée, tout au long des tristes zones industrielles de la ville. Quête au cours de laquelle elle fait des rencontres plus au moins pittoresques, ainsi celle de démarcheuses d’une secte, particulièrement opiniâtres. Mais surtout elle rencontre M. Hildicht, un gros homme, amateur de bonne chère, jovial, apprécié de ses collègues. En apparence la bonté même, tant il se donne de mal pour l’aider. Mais la bonhomie de M. Hildicht n’est que le masque de sa véritable personnalité, inavouable puisque c’est celle d’un psychopathe. Qui sont ces Elsie, Beth, Sharon et autres « amitiés féminines » qui affleurent par moment à la surface de ses pensées, et que sont-elles devenues ?

Dans ce roman, William Trevor décrit la rencontre de deux solitudes, de deux quêtes, de deux obsessions et de deux personnalités opposées. Félicia est entièrement tendue vers sa recherche de Johnny. C’est une jeune fille terne et moyennement intelligente, qui ne deviendra vraiment attachante qu’à la fin du roman.

M. Hildicht est beaucoup plus complexe, avec sous le vernis du bon vivant et du bon samaritain ce double qui le hante et que lui-même n’ose pas trop regarder. Hildicht est avant tout un homme qui ment. Il appelle Felicia « ma petite » mais dans ses pensées, c’est « l’Irlandaise », terme qui de sa part apparaît chargé d’indifférence, sinon de mépris. Mais il se ment aussi à lui-même. Ainsi quand il expose à Felicia des pans imaginaires de sa vie, comme sa carrière dans l’armée, ou qu’il parle de sa femme alors qu’il vit seul, c’est pour conforter l’image qu’il veut donner à la jeune fille, mais aussi pour vivre à travers le regard d’autrui, en mythomane, une existence dont il a rêvé et qui n’a pas voulu de lui. C’est un être ignoble, totalement égotiste, incapable de sympathie et même d’empathie envers autrui. Il ne cesse de tromper l’infortunée Felicia, de l’abuser par ses mensonges, de la diriger sur de fausses pistes, et finira par la déposséder doublement.

N’attendez pas de William Trevor qu’il vous décrive des meurtres sanglants. Le côté psychopathe de son triste héros est évoqué à petites touches et de façon si discrète et ambiguë que chacun décidera s’il a vraiment assassiné les filles en question.

Démarrant sur un thème voisin de « Lucy » ( un être cher devenu inaccessible), «Le voyage de Felicia » est avant tout un itinéraire au cours duquel la vérité de chacun des deux personnages va se révéler. Et comme dans d’autres romans ou nouvelles de Trévor on atteint en fin de compte cette sorte de sérénité-résignation qui est le propre des humbles, conscients qu’ils ne doivent pas trop demander à la vie.
Un voyage initiatique fascinant.
Si vous avez vu le film d’Atom Egoyan, sachez qu’il comporte quelques différences notables avec le livre.