On ne réveille pas un juge qui dort de Daniel Carton, Gilbert Thiel

On ne réveille pas un juge qui dort de Daniel Carton, Gilbert Thiel

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Macréon, le 11 janvier 2003 (la hulpe, Inscrit le 7 mars 2001, 90 ans)
La note : 7 étoiles
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Attention surtout aux fausses évidences

Encore un livre sur le fonctionnement de la justice en France, mais il est cette fois rédigé par un Juge et non pas par un condamné médiatisé
sorti de prison et prenant la plume pour payer ses avocats.
Le juge Gilbert Thiel n'a pas la notoriété des juges Lambert, Van Ruynbeke, Bruguières et autres, mais il fut mêlé à plusieurs affaires importantes. Né en 1948, juge d'instruction à Nancy en 1978, il s'occupa de l'affaire Simone Weber , de Guy Georges, l’assassin de l’Est parisien, de l'affaire Erignac (Corse) pour finir affecté à la section antiterroriste de Paris depuis 1995.
A ce titre, il bénéficia de la protection rapprochée de 4 policiers. Il s'en explique au cours d’un petit chapitre savoureux.
Le juge Thiel se livre sans détours, parfois avec dérision, c'est une personnalité atypique,mordante, incisive, surprenante, mais souvent difficilement réfutable.
Pas de doute qu’il n'ait eu des rapports orageux avec sa hiérarchie pour cause d’individualisme.
Son caractère est entier, il prenait assez souvent des libertés avec les usages. Des rapports conflictuels, il en eut aussi avec les avocats, qui accusent toujours les juges de n'instruire qu'à charge et si peu à décharge. Certains de ses chefs allaient jusqu’à le considérer comme un élément “ hautement perturbateur " et d'avoir un " tempérament ardent, voire vif “. D’autres l'appréciaient en dépit de sa personnalité haute en couleur, son côté “ électron libre " mais travailleur et souvent efficace.
Le juge brosse à large traits l'état des lieux de l'institution judiciaire française : lenteur, scandaleux manque de moyens, inflation législative, complexité croissante des procédures transformées en course d'obstacles pour les juges, mais aussi parfois insuffisance du recrutement." Certains pensent que le juge est un vestige de la royauté revu et corrigé par l’Empire et qu'il faut bien se débarrasser de ce lieutenant criminel" ( Me Soulez-Larivière). Le juge Thiel s’insurge contre cette opinion tranchée.
Le juge se réfère à la nouvelle loi sur la présomption d'innocence, "qui est d'abord un effet d’annonce," à laquelle il consacre quelques pages intéressantes et nuancées ( pp.44 à 49). Il n'y a pas lieu de s’étonner que les appréciations du juge d’instruction et celles de la juridiction de jugement (en vigueur en France) divergent parfois. Il admet implicitement les problèmes rencontrés par les juges devant enquêter en toute objectivité dans des milieux qu'ils ne connaissent que peu ou prou et qui doivent faire confiance aux experts, (aux avis contradictoires , souvent mal payés et tardant beaucoup à fournir leur avis)
Le livre ne manque ni de pertinence ni de profondeur. Il fourmille de paradoxes et décrit dans le concret le quotidien de juges, des policiers , leurs rapports avec la hiérarchie et la presse, parfois amie mais aussi grande donneuse de leçons pas toujours étayées. “Le Monde “ de Jean-Marie Colombani ( le pape de l’information) et d'Edwy Plenel est particulièrement épinglé. Le secret de l’instruction, souvent brandi par les puristes et qui se réduit en peau de chagrin, fait l’objet d’une attention désabusée.
La deuxième partie du livre (390 pages)est plus anecdotique, sans manquer d'intérêt. Daniel Carton laisse la bride à son interviewé. En dépit de certaines facilités de potache ou licences de style pieusement reproduites par Daniel Carton, motivées sans doute par la volonté de se faire lire, ( Exemple : sur CNN, le pape, malade, ne faisait plus de bulles) Thiel raconte sa longue traque de Simone Weber. Celle-ci n'a jamais avoué les crimes dont on l'accusait et elle " usa " 15 avocats. La "diabolique de Nancy" avait découpé son amant à la tronçonneuse, elle fut condamnée en 1991 à 20 ans de réclusion criminelle. 6 ans d'enquêtes, “ crises de nerfs" entre le juge et l'accusée, impact médiatique considérable.
A noter aussi sa lutte au sein de la section antiterroriste de Paris ( la 14° section) durement critiquée par l'Assemblée nationale) .Dans le métier, Thiel était considéré comme très redoutable : “ Si j’ai sur le dos un très bon policier et le juge Thiel, je suis foutu", s’exclamait un délinquant.
Le juge Thiel est un homme de gauche et était même “ un peu gauchisant", il a appartenu au Conseil de la Magistrature qu’il quitta en dépit des grands mérites initiaux de cette institution. Dès la fin des années 1970, lorsque le syndicat de la Magistrature a commencé à soutenir que l'insécurité était bien davantage un sentiment qu'une réalité et que les mesures visant à lutter contre le phénomène n'étaient que des manipulations politiciennes d'une droite ultra-répressive. "Mais cette “ réalité idéologique" n’était pas celle que je percevais dans l'exercice quotidien de mes activités de juge. J'avais souvent affaire à des gens de condition modeste, mais cette réalité englobait les personnes poursuivies mais aussi les victimes."

Il trouve que le slogan " tolérance zéro" est absurde. “Et pourtant, il pense que l'inexécution des décisions en matière civile et en matière pénale est un véritable cancer pour l’institution, qu'elle décrédibilise en la transformant en une espèce de loterie.
Les circonstances parfois atténuantes qui peuvent être accueillies au bénéfice d’un individu déraciné, deviennent par trop souvent, aux yeux aveuglés de quelques idéologues, des circonstances absolutoires. Les victimes, aussi, doivent être traitées avec égards."
A quoi rêve le juge Thiel? A une Justice meilleure, bien sûr. A une Justice forte, où la défense jouerait pleinement son rôle de contre-pouvoir, sans la moindre complaisance mais aussi sans outrance dans le suremploi des mots à des fins exclusivement polémiques. Une défense qui ferait aussi bénéficier de la présomption d’innocence les enquêteurs en cessant de les accuser gratuitement,sans aucune preuve. Une défense sobre, sans surenchère médiatique.
Mais le juge Thiel avoue aussi, avec sincérité, pensant à certaines affaires : " en guise de conclusion, on peut dire que dans ce métier-là, on apprend tous les jours, mais l'on n'apprend jamais suffisamment à se méfier des fausses évidences“

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