Le jardin de ciment
de Ian McEwan

critiqué par Malic, le 28 novembre 2012
( - 82 ans)


La note:  étoiles
Fratrie en roue libre
Ce roman annonce son côté glauque et malsain dès la première phrase : « Je n'ai pas tué mon père, mais parfois j'ai l'impression de l'avoir un peu poussé.» Le père en question est un homme épris d’un ordre maniaque. N’ayant plus la santé nécessaire pour entretenir son jardin, il entreprend de largement le cimenter. Mais il meurt d’une attaque avant d’avoir achevé son œuvre. Lorsque quelque temps après la mère meurt à son tour, les enfants – deux ados, Julie et Jack, une gamine d’une dizaine d’années, Sue, et le petit Tom, 6 ans – décident de dissimuler cette mort afin d’éviter d’être séparés et confiés aux services sociaux. Ils cachent le cadavre dans une cantine au fond de la cave, et l’enrobent du reliquat de ciment. La vie se réorganise tant bien que mal dans cette famille réduite à quatre orphelins. Toute autorité disparaît, chacun agit à sa guise, loin des tabous du monde des adultes, livré à ses caprices et ses pulsions. Le petit Tom s’habille en fille, Jack ne se lave plus; et la déviance ne s’arrêtera pas là. Bien sûr, il y a des disputes et des bouderies comme dans les autres fratries, mais aussi une complicité, au double sens du terme, du fait de l’inavouable secret partagé.

Nous sommes en été, pendant les grandes vacances, et les quatre enfants vivent pratiquement en vase clos, coupés du monde extérieur. Ils sont dans une sorte de bulle, hors du temps et de la société. Lorsqu’à la dernière ligne, Julie s’exclame «Quel joli somme on a fait !», c’est en s’adressant à Tom qui sort de sa sieste, mais on comprend surtout que la parenthèse se termine et que le réveil, le retour forcé dans le monde des adultes, sera difficile. Seule intrusion du monde extérieur dans ce microcosme, celle de Derek, le copain de Julie, un garçon très conventionnel, choqué par ce laisser aller et qui se verrait bien en protecteur de la famille.

Face à cette histoire, le lecteur, déboussolé autant les personnages du roman, perd lui aussi ses repères et se demande où est l’innocence et où est la perversion, d’autant que tout est vu à travers le regard de Jack, le narrateur. Le personnage de Julie, qui dit elle-même qu’elle n’a peur de rien et qui enfreint crânement les tabous, est fascinant. L’écriture de Ian Mc Ewan restitue gestes et paroles avec une grande justesse. Les mots et les situations sont parfois très crus et on comprend que ce roman (le premier de l’auteur), très dérangeant, ait choqué à sa sortie en 1978 et continue à choquer. Décidément, les romanciers anglais, de Saki à William Golding et aujourd’hui Mc Ewan, n’ont pas leur pareil pour remettre en cause la sacro-sainte innocence enfantine.
Tabous 9 étoiles

Premier roman qui laissait déjà présager à la fin des années 70s la venue du grand auteur contemporain. Le texte est court et condensé. On y retrouve les thèmes de l’inceste, la mort et le travestisme. Le style est vif et précis.

Comme Golding, McEwan crée un environnement fermé où les enfants sont maîtres de leur quotidien. L’intérêt provient de cette approche presque voyeuristique. Le lecteur est en quelque sorte forcé à vivre le malaise de l’écart entre sa maturité adulte et les dérapages inhérents à une innocence non encadrée.

C’est une lecture fascinante. Toutefois, je ne sais pas quel message je devais en retirer ? Un procès de la jeunesse ? Une ode au civisme des sociétés ?


(lu en version originale)

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 54 ans - 8 février 2013