Dans les griffes de la Hammer
de Nicolas Stanzick

critiqué par Antihuman, le 26 novembre 2012
(Paris - 41 ans)


La note:  étoiles
Avec effroi tu y jeteras un oeil
Pauvres monstres qui ne doivent leur récent salut qu'à cette gardienne des âmes du cinéma: J'ai nommée la Hammer, meilleure franchise de l'horreur depuis les années 50... Qui n'a jamais vu au moins une fois dans sa vie les monstrueusement cultes le Chien des Baskerville, Jekyll et Mr Hyde, L'Expérience, L'Horrible Cas du Docteur X, La Malédiction du Loup-Garou, La Momie, ou Frankenstein ? Le livre est plutôt exhaustif cependant outre quelques boucs-émissaires, nombreux clichés et abus divers, l'auteur cite surtout les oeuvres plus connues, on notera finalement - hélas pour ces fourbes et envieux - en parcourant l'intérieur de ce docte ouvrage quelques dramatiques oublis au sujet de tous ces films originaux répertoriés. Enfin s'ils souhaitent qu'on respecte le travail des uns, qu'ils commencent donc par considérer un minimum celui des autres.

Pitié donc pour toute goule, succube assoiffée de sang, revenant, gueux du village, serviteur laid et chauve, savant fou, sorcière à chaudron, disciple allumé, groupe occulte ou alors créature de l'ombre en free-lance, sinon, simplement, pour ce pauvre comte Dracula. Brrr il y a de la brume autour du château...



Résumé

Terence Fisher, Christopher Lee, Peter Cushing. Plus qu'une date de l'histoire du cinéma qui vit l'épouvante assumer enfin sa dimension érotique et violente, le cycle gothique produit par la firme britannique Hammer Films fut en France un véritable emblème subversif. Le déferlement sur les écrans à partir de 1957 de Frankenstein s'est échappé, La Nuit du loup-garou ou encore Dracula prince des ténèbres offre l'histoire d'une étonnante bataille d'Hernani faite de luttes esthétiques, de passions cinéphiles sur fond de révolution pop et de bouleversements politico-culturels. En retraçant ces événements sous la forme d'un passionnant récit agrémenté d'entretiens fleuves, Nicolas Stanzick livre non seulement le premier ouvrage consacré en France à la maison Hammer, mais il apporte du sang neuf à l'abondante littérature anglo-saxonne déjà parue sur le sujet. Voici le récit de la condamnation morale unanime d'un genre et de la naissance conjointe de la cinéphilie fantastique française, petite communauté joyeusement libertaire et populaire, adepte fièrement revendiquée d'un cinéma du sexe et du sang. Voici la chronique de ces francs-tireurs qui nous ont légué une mythologie Hammer intacte, plus de cinquante ans après Le Cauchemar de Dracula, au moment où tel le comte sanguinaire, le célèbre studio anglais renaît enfin de ses cendres.
Après une première édition en 2008 et une nomination au Grand Prix de l Imaginaire en 2010, Dans les griffes de la Hammer ressort chez Le Bord de l eau dans une nouvelle édition enrichie et
augmentée qui inaugure la collection Ciné-Mythologies. Au menu des réjouissances inédites :
- une préface de Jimmy Sangster, le scénariste des classiques de la Hammer
- une iconographie abondante : 24 pages en couleur, 35 pages en noir et blanc
- un texte enrichi.


Biographie de l'auteur


Né en 1978 à Poitiers, Nicolas Stanzick se passionne très tôt pour le cinéma fantastique, le rock et la contre-culture au sens large du terme. Après des études d'histoire à Paris I Panthéon-Sorbonne, il collabore comme auteur au Dictionnaire du Cinéma populaire français (Nouveau monde, 2004), puis comme journaliste au Nouvel Observateur via Télécinéobs, à L'Ecran Fantastique, Repérages et France Culture. Nominé au Grand Prix de l'Imaginaire en 2010, Dans les griffes de la Hammer est son premier ouvrage. Il poursuit parallèlement une carrière de musicien dans le groupe UItrazeen + de nouveaux entretiens fleuves.
Horreur so british 9 étoiles

Au milieu des années 1950, la Hammer, petite firme cinématographique anglaise qui ne s’était guère fait remarquer en quoi que ce soit, commença à inonder les écrans sous une vague d’horreur. Rapidement la Hammer, rayon horreur ( elle produisait en même temps dans d’autres genres, aventures, guerre etc) affirma son identité et son originalité. D’abord, un emploi de la couleur presque systématique alors qu’auparavant, horreur, épouvante, fantastique, étaient très largement liés au noir et blanc. Entre les mains de chefs opérateurs doués, la couleur n’était plus un simple attrait supplémentaire, mais un véritable élément expressif. Sans compter que ces films présentaient une horreur souvent très directe et généreuse en hémoglobine, sans toutefois atteindre les excès du gore qui allait sévir quelques décennies plus tard.

Autre élément du label Hammer, un érotisme trouble, dont l’un des plus beaux exemples reste celui du «Cauchemar de Dracula », où les femmes attendent la morsure du vampire pâmées entre terreur et désir. Il faut dire que Christopher Lee interprète un Comte « racé jusqu’au bout des canines », premier Dracula séduisant, bien loin de ceux des chefs-d’œuvre du passé, tels que l’épouvantail Nosfératu de Murnau ou le gominé et grimaçant Bela Lugosi de Tod Browning.

Pour ce qui est des thèmes, la Hammer se réappropriait – quoi de plus légitime – le riche patrimoine littéraire de la Grande Bretagne en matière de fantastique et de gothique: le « Dracula » de Bram Stoker le « Frankenstein » de Mary Shelley, le docteur Jekyll de Stevenson, la Carmilla de Le Fanu, le Sherlock holmes de Conan Doyle, mythes inusables, mais traités d’une façon novatrice par rapport aux films américains. D’autres thèmes classiques, comme ceux du zombie, de la momie ou du loup-garou venaient compléter le bestiaire, donnant une nouvelle vie aux monstres cinématographiques.

A noter aussi le caractère un peu « artisanal » de ces productions, soignées, mais généralement à budget modeste, avec leurs propres studios (Bray) et des collaborateurs plus ou moins attitrés, parmi lesquels on mentionnera les personnalités les plus connues : le scénariste Jimmy Sangster, le chef-opérateur Jack Asher, le musicien James Bernard et les acteurs Peter Cushing et Christopher Lee, véritables « frères siamois de l’épouvante », qui tiennent ensemble la vedette de quantité de films.

Au plan de la mise en scène, la Hammer ne fut pas le domaine du cinéma d’auteur. Exception faite d’une incursion de Joseph Losey le temps d’un film de SF (« The damned »), ses réalisateurs étaient d’honnêtes artisans ou des « petits maîtres » à qui l’esprit maison permit de donner parfois le meilleur de leur talent. On peut citer Val Guest (« Le monstre » et « La marque », deux films de SF/horreur originaux, en noir et blanc cette fois) ; John Gilling (le beau doublé cornouaillais de « l’Invasion des morts-vivants » et « La femme reptile ») ; Roy Ward Baker ( « Dr Jekyll and sister Hyde », variation d’après Stevenson, et « vampire lovers », d’après « Carmilla »). Ou encore Freddie Francis, plus connu des cinéphiles comme chef-opérateur génial de « Elephant man » chez David Lynch.


Mais le plus célèbre des réalisateurs de la firme, sa figure emblématique, reste Terence Fisher, officier de la marine marchande devenu monteur puis réalisateur. Après s’être fait la main sur des films policiers, il réalisa une vingtaine de films durant la grande période de la Hammer, dont cinq Frankenstein, trois Dracula et un Loup-garou. Loin d’être un simple « restaurateur de monstres », comme le qualifièrent certains, il apporta des visions nouvelles de ces mythes, soutenues par des mises en scène solides et parfois inspirées. D’ailleurs si vous voulez vous faire une idée du style Hammer à son meilleur, il vous suffira de regarder le pré générique de la version Fisher du « Chien des Baskerville ». Cette séquence de moins de moins de dix minutes, qui évoque la légende des Baskerville, est un concentré de l’esprit de la firme : les nobles sadiques ( et même sadiens ), les ruines gothiques ( au double sens du terme), la lande mystérieuse, l’intrusion de la terreur et du surnaturel (hors-champ), la poésie cruelle du poignard sanglant tombé parmi les feuilles mortes, le tout servi par la partition syncopée de James Bernard et par les couleurs tour à tour flamboyantes et glaciales de Jack Asher.


Le livre de Nicolas Stanzick retrace l’histoire de la Hammer mais s’attache avant tout à la réaction de la France vis-à-vis de ses productions, d’où le sous-titre : « La France livrée au cinéma d’épouvante » Cette réaction peut se résumer en deux formules : succès public et éreintement critique. Le public se pressait aux salles qui projetaient « Frankenstein s’est échappé », « La nuit du loup garou » ou « Le cauchemar de Dracula » et pour ce dernier film, un journaliste notait ce dialogue savoureux entre spectateurs entrant dans la salle et ceux qui en sortaient :
« – alors, on a vraiment peur ?
- oui, rassurez-vous, on a vraiment peur ! »

Du côté de la critique, les films de la Hammer furent dans l’ensemble très mal reçus, toutes tendances artistiques et toutes obédiences politiques confondues. A droite (pour schématiser), on invoquait la morale et Télérama fustigeait le côté malsain et morbide de ces productions accusées de forger des générations de détraqués. A gauche, l’ « Humanité » reprochait aux monstres cinématographiques de détourner l’attention des travailleurs des monstres véritables, ceux du capitalisme…

La cinéphilie ne se montrait pas plus indulgente. L’exemple le plus flagrant est celui de la prestigieuse revue « Les Cahiers du Cinéma », dont les rédacteurs, à la suite de François Truffaut, avaient décidé que Grande Bretagne et Cinéma étaient incompatibles. Les films de la Hammer étaient donc nécessairement mauvais et voyaient leur sort réglé par des notules ironiques et méprisantes du genre « Si le cinéma comique anglais ne fait plus rire personne, on n’en saurait dire autant de ce film de la perfide Albion. » (à propos du « Cauchemar de Dracula ».)

Les arguments le plus souvent invoqués pour descendre en flamme les films de la Hammer, outre leur côté « malsain », étaient leur « vulgarité » et aussi leur prétendue médiocrité en regard des intouchables classiques du genre. Certaines appréciations de l’époque frappent aujourd’hui par leur stupidité, comme celle-ci : « puisque les monstres n’existent pas, pourquoi les mettre en scène ? », négation du fantastique et même de toute fiction.

Sans doute la violence, l’érotisme et le gothique frénétique conféraient-ils à ces productions un aspect (involontairement) subversif dans la France frileuse des années 50-60. Il faut dire aussi que, à la fois cause et conséquence du rejet, ces films, du moins au début, étaient cantonnés dans le ghetto des salles « spécialisées », tel le Midi-Minuit, qui passaient les séries Z et les films érotiques. Bien sûr, il se trouva quand même quelques critiques et revues pour s’intéresser à la Hammer, à commencer par la revue « Midi-Minuit fantastique », à l’intitulé délibérément provocateur (et qui a fait l’objet d’une réédition en 2014.)

Au fil des ans, le tollé soulevé par la Hammer retomba. Dès la fin des années 60, « Les Cahiers du Cinéma » commencèrent à consacrer des articles très élogieux à Fisher et Télérama y va de son frisson de nostalgie chaque fois que l’un de ses films repasse sur le petit écran.

Abondamment illustré, très documenté, et agrémenté de nombreuses interviews, « Dans les griffes de la Hammer » passionnera tous ceux qui s’intéressent au cinéma fantastique et plus généralement ceux que fascine la propension des britanniques à l’épouvante et au gothique. Il constitue aussi un excellent document sur l’évolution des mentalités et des goûts en matière de cinéma.

Malic - - 82 ans - 6 août 2014