Maria la nuit
de Anacristina Rossi

critiqué par Débézed, le 23 novembre 2012
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Etrangement dans la nuit
« Maria la nuit », comme la nuit sombre de ce texte énigmatique dans laquelle les formes se devinent, où on peut se perdre, s’égarer, tâtonner, croire en une réalité vécue, perçue ou ressentie, accepter une normalité banale ou une certaine forme de folie, suivre la conviction des narrateurs ou leurs inventions, évoluer dans le domaine de la mémoire ou de la recréation, un texte comme un chantier inachevé qui laisserait la place au lecteur pour apporter sa contribution au récit.

Antonio, 36 ans, Canarien fraîchement divorcé, a obtenu un séminaire dans une université anglaise après avoir surmonté les affres de la séparation. Un jour, il est abordé, racolé, dans un bar par une belle inconnue, il cède à son charme mais elle se refuse à lui, elle semble frigide mais au contraire elle est nymphomane et se repait des plaisirs sexuels avec son amie la blonde italienne, Octavia la sœur, la mère, l’amante, le guide. Elle, c’est Maristella une jeune Costaricienne séjournant à Londres pour d’énigmatiques études. Antonio s’immisce dans ce duo féminin et vit dans le raffinement cette liaison trioliste qui se heurte à sa culpabilité.

Maristella raconte sa vie en remontant le temps, ses aventures dans le Bassin méditerranéen avec Octavia, ses conquêtes amoureuses, sexuelles, pas forcément sentimentales, sa jeunesse au Costa Rica, véritable parcours initiatique d’enfant mal aimée, battue, punie, frustrée, témoin d’expériences cruelles : mutilations, assassinats d’enfants…

Un livre qui brasse dans un même creuset les lois économiques, les airs de musique classique et les ébats charnels sous toutes leurs formes : duo, trio, hétérosexuels, homosexuels, pluriels…, sans jamais sombrer dans la mièvrerie des romans roses pas plus que dans un quelconque érotisme. Les faits sont évoqués mais jamais décrits, on sait, mais on ne voit pas. Le plaisir charnel est toujours dissocié de l’amour sentimental, la liberté des mœurs ne se confond jamais avec débauche mais plutôt avec volupté. Hymne à la jouissance des corps et à l’exaltation des sentiments sans jamais mélanger les deux, laissant aux femmes le choix de leurs relations : amour charnel ou romance sentimentale.

Roman polyphonique à deux voix principales, celle d’Antonio le professeur d’économie divorcé et celle de Maristella la jeune femme énigmatique. Deux voix, deux langues : Antonio raconte avec des phrases courtes, incisives, imagées, inventives, Maristella s’exprime, elle, avec des phrases plus construites, plus élaborées, plus littéraires dans un discours elliptique, vaporeux, sensuel, écrit dans une langue riche, allusive, un peu sucrée, qui dépeint plus des sensations que des faits. Un texte très riche, bourré de références culturelles et scientifiques, Wittgenstein y croise des mathématiciens, des économistes, des musiciens, des écrivains,… et bien que l’ouvrage date de près de trente ans, il évoque déjà des thèmes encore en pleine actualité aujourd’hui comme la dette des nations.
Eparpillement et confusion 4 étoiles

Le problème, c'est qu'on ne comprend pas trop où Anacristina Rossi veut en venir, le projet d'écriture n'était sans doute pas très clair, et il en résulte un texte archi décousu tout au long duquel on progresse difficilement,puisqu'il ressemble à un véritable fouillis.
Qu'a-t-elle voulu dire, montrer, exprimer?
Les conséquences des sévices subis dans l'enfance dans la vie d'une femme? Les impasses et les barrières que sont la moralité? Que l'amour peut s'aborder d'un point de vue économique? Les déviances sexuelles comme la suprême liberté? La nécessité de dissocier sexe et sentiments?
Un peu tout à la fois, sans jamais vraiment rien approfondir.
Comme si l'auteure avait trouvé une multitude de pistes à explorer sans en suivre aucune véritablement.

Eparpillement et confusion.

Pourtant, certaines de ces pistes étaient intéressantes, et l'une d'entre elles, la relation amoureuse vue sous un angle économique, aurait gagné à être fouillée davantage, dans un souci de cohérence et d'harmonisation du texte:

- C'est moraliste, d'opter pour une relation profonde et d'attaquer les valeurs de consommation?
- C'est moraliste de condamner l'ampleur des choses à apprendre, l'ampleur, les différentes sortes de tendresse. Que sais-tu de tout ce que tu ignores? Que donneras-tu à ta partenaire monogame si tu ne connais rien?
- Nous connaîtrons ensemble.
- On apprend avec les gens, pas en s'enfermant dans l'autre.

Sissi - Besançon - 53 ans - 24 avril 2013