Le dépeupleur
de Samuel Beckett

critiqué par LuluLaFourmi, le 18 novembre 2012
(Lyon - 59 ans)


La note:  étoiles
Petit chef d'oeuvre
Petit livre et grosse impression. J’enrage presque que personne ne m’ait fait lire ce chef d’œuvre lorsque j’étais adolescente.

Beckett nous enferme dans une mécanique à la fois totalement surréaliste et parfaitement connue. Terrible sensation, allégée par une ironie féroce qui permet le recul et favorise la réflexion du lecteur.

« Séjour où les corps vont cherchant son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine. C’est l’intérieur d’un cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l’harmonie. » « Un corps par mètre carré soit un total de deux cents corps chiffre rond. (…) Premièrement ceux qui circulent sans arrêt. Deuxièmement ceux qui s’arrêtent quelquefois. Troisièmement ceux qui à moins d’en être chassés ne quittent jamais la place qu’ils ont conquise et chassés se jettent sur la première de libre pour s’immobiliser de nouveau. (…) Quatrièmement ceux qui ne cherchent pas ou non-chercheurs assis pour la plupart contre le mur dans l’attitude qui arracha à Dante un de ses rares pâles sourires. »

Le monde devient un univers concentrationnaire dont tout espoir est lentement et méticuleusement chassé et où pourtant l’espoir résiste (Dante sourit encore). On y croise une charge féroce contre notre besoin de foi aveugle en « autre chose » alors que les solutions seraient en nous. Une issue dans le sans-issue, rejoignant alors le Camus de Sisyphe, le Calaferte du « il faut vivre l’absurde ou mourir » et le Primo Levi de Ecce Homo : « Et le voilà en effet ce dernier si c’est un homme qui lentement se redresse... »

C’est beau, poignant, émouvant, chavirant.