L'univers enfoncé et autres poèmes
de Velimir Khlebnikov

critiqué par Eric Eliès, le 5 novembre 2012
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Une poésie violente, pleine d'images, de fierté et de ferveur
Ce petit livre, authentiquement de poche en raison de ses dimensions modestes (il ne fait qu'une cinquantaine de pages), est rouge sombre comme imbibé de sang. La poésie de Khlebnikov, poète futuriste russe qui fut peut-être compagnon de route de Maïakovski (les notices biographiques sont hélas bien trop courtes pour comprendre réellement la vie et l'oeuvre de Khlebnikov, riche en noms propres), est extrêmement violente et véhémente, chargée d'images où rôde la présence omniprésente de la mort, toujours donnée ou reçue...

Les poèmes de Khlebnikov s'apparentent parfois à l'épopée d'une âme forte et fière affrontant la mesquinerie des hommes (comme dans "L'histrion solitaire" où le poète est le grand incompris : "Et je compris épouvanté / que nul ne me voyait / qu'il fallait semer des yeux / qu'il fallait que vienne le semeur d'yeux") et les forces du destin. Le 1er poème, qui donne son titre au recueil, raconte la conquête de l'univers comme une sorte de prise d'assaut pleine d'un étrange onirisme violent. Dans les autres poèmes, on trouve deux images récurrentes : celle de la Volga, fleuve personnifiant les forces de la nature ("mère jadis au poil hérissé de louve féroce quand la mort approchait" jeté comme un pont entre l'Europe et l'Asie, et celle du taureau de combat, aux cornes acérées et au muffle brûlant... Le long poème intitulé "Morceau" raconte l'agonie cruelle d'un cheval éventré par un taureau, qui piétine "le tas mouillé des tripes vives" et se couronne des intestins sanguinolents du cheval sous les regards brillants de la foule...

Les derniers poèmes sont pleins de reproches à ceux qui ont méprisé ou méconnu la valeur de sa poésie. Il est possible que Khlebnikov (malgré ses audaces, ses ambitions et sa fierté, si l'on croit la trop brève note biographique) s'identifie davantage au cheval qu'au taureau. Il mourut en 1922, à 37 ans. Peut-être aussi fut-il victime de l'hostilité du nouveau pouvoir soviétique. En effet, il semble que Khlebnikov se soit indigné contre les injustices et les souffrances qui ont frappé la Russie pendant les épreuves de la révolution, comme dans :

Volga ! Volga!
(...)
C'est elle aujourd'hui couarde qui dévore
Jette les enfants bois mort au poêle du temps ?
Dis que c'est faux !
(...)
Volga, redeviens la Volga !


A tous
(...)
Partout le tranchant acéré
Et les petits visages des vers égorgés.
Tout ce que ces trois ans nous ont donné (*)
Arrondir à cent le compte des chants
Et à tous un cercle familier de visages,
Partout, partout, les corps de tsarévitchs égorgés.

(*) : poème écrit en 1922