Entre l'aurore et la nuit
de Marc-André Moutquin

critiqué par Libris québécis, le 27 octobre 2012
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Un qallunaaq au Nunavik
Jean Charest croyait se faire réélire comme Premier ministre du Québec avec son fameux Plan Nord. Développer une région est une chose, mais la population locale bénéficiera-t-elle des retombées économiques à l’exception des qallunaaqs (blancs) ? Les Inuits risquent-ils de voir la manne leur passer sous le nez sans pouvoir s’en nourrir ? Marc-André Moutquin craint que ces derniers soient les dindons de la farce.

Son roman Entre l’aurore et la nuit n’entrevoit pas de salut pour les autochtones qui habitent au nord du 60e parallèle. Ils ont abandonné leurs igloos dans lesquels ils mourraient de froid et de faim pour des maisons chauffées. Cet avantage n’a pas influé sur les problèmes sociaux. Les enfants sont laissés à eux-mêmes, la violence sévit chez les couples, l’alcool détériore leur santé, le désœuvrement démoralise la population d’où s’en suit un taux de suicide très élevé chez les jeunes. Si les villages du sud se vident de leurs habitants, ceux du nord se vident d’une culture qui tue l’esprit de corps. Même l’environnement ne facilite pas les relations. Les distances sont trop longues à parcourir entre chaque village pour entretenir les liens de la survivance. C’est sans compter les dangers que présente l’immensité de la toundra fréquentée par les loups et les ours polaires. On ne s’y aventure pas sans risquer de mourir de froid dans ce désert de neige si jamais on s’y perd. Pour meubler l’oisiveté, il reste le skidoo (motoneige) que l’on fait pétarader une partie de la nuit pour se donner l’illusion d’exister. Le seul moment qui réjouit la population du nord de Puvirnituq, c’est la migration des caribous (rennes). Leur venue permet de garnir les garde-manger.

Le tableau que peint l’auteur, un infirmier qui a œuvré dans la région, diffère de celui qui fait rêver les touristes enthousiasmés par les ballades en traîneau à chiens. On est loin de la culture inuit, qui attribue la naissance de la lune et du soleil à Taqqiq et à Siqiniq. L’importance des astres est primordiale quand la vie bat au rythme d’un soleil qui ne se couche que quelques instants en été pour laisser sa place à la lune en hiver.

Jacques, le héros du roman, est frappé, voire déboussolé, par cette culture. Il a été embauché comme soudeur pour travailler à la construction d’une école qu’on ne parvient pas à parachever à cause des matériaux qu’on livre par bateau quand les glaces ne gênent pas trop la navigation. Avec les qallunaaqs venus pour les salaires plus généreux qu’au sud, il fréquente le Staff House, où les bouteilles de whisky se vident rapidement. Le héros est quand même empathique à l’égard des Inuits. Il s’attache à quelques-uns d’entre eux, mais il est très mal venu de s’immiscer dans leur vie. Chacun son clan et les moutons seront bien gardés.

Le roman est ainsi un exercice d’observations, qui détruit tout suspense qui semble se pointer. Même si l’auteur réussit à ficeler les éléments choisis en un tout qui se tient, le lecteur se sentira traîné en tous sens : le voyage de pêche, la chasse aux caribous, la construction de l’école, la violence conjugale, les suicides… Bref, c’est un défilé sans fin d’événements démoralisant pour un héros impuissant devant une culture qui le dépasse.

Marc-André Moutquin nous offre une œuvre très instructive d’un milieu inhospitalier. Le Grand-Nord fait saliver les entrepreneurs, peu enclins à connaître les effets de leurs enjeux financiers sur la population locale. Le contenu du roman est fort satisfaisant, mais l’écriture reste à être peaufinée pour une prochaine tentative littéraire. Bref, Agaguk d'Yves Thériault reste le modèle sur le sujet.