La dame du manoir de Wildfell Hall de Anne Brontë

La dame du manoir de Wildfell Hall de Anne Brontë

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Myrco, le 7 octobre 2012 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 073ème position).
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Un grand roman injustement méconnu

Ce second roman d'Anne, la cadette des trois soeurs Brontë, fut publié en 1848, un an après "Agnès Grey"; un an plus tard, l'auteure devait mourir de la tuberculose à seulement 29 ans.
L'histoire centrale est une histoire d'amour déçu, de mariage raté entre deux êtres qui n'étaient de toute façon pas faits l'un pour l'autre, un duel qui se veut un peu trop manichéen entre le vice (lui) et la vertu (elle).
Anne B. nous livre là, à travers son héroïne, Helen, un très beau portrait de femme, entière, d'une grande noblesse d'âme, exigeante envers les autres et plus encore envers elle-même, capable de braver certaines lois de l'Angleterre victorienne qui faisaient de la femme un être totalement asservi à son mari, au nom de son devoir de mère. Elle oppose une conception élevée du couple à la conception machiste et égoïste de toute une catégorie d'hommes qui pensaient que la femme n'était là que pour leur convenance personnelle, autrement dit : à elles tous les devoirs, à eux tous les droits. Elle s'insurge au passage contre l'éducation des mères qui perpétuent ce schéma.
Sa créatrice fut à l'époque vilipendée pour la hardiesse de ses positions ("La Dame du manoir de Wildfell Hall" est considéré comme l'un des premiers romans féministes).
Mais si le personnage d'Helen séduit et interpelle, elle n'incarne pas pour autant la femme libre. Prisonnière de ses devoirs, elle est aussi capable de s'interdire le bonheur au nom des liens sacrés du mariage même si les circonstances devraient lui ôter toute culpabilité. Dommage que l'éternel prêchi-prêcha moralisateur de ce parangon de vertu et de foi chrétienne (néanmoins dénuée de toute hypocrisie) puisse la rendre autant détestable qu'elle peut être attachante et éclaire parfois la déception et le comportement du mari.

Par ailleurs ce roman, d'inspiration beaucoup moins romanesque que ceux de ses soeurs nous fait côtoyer dans sa réalité la débauche du personnage d'Huntington et de ses amis (Anne a pu puiser dans son expérience auprès de son frère Branwell) et si ce réalisme paraît aujourd'hui souvent bien édulcoré, il a (d'après la préfacière) fait l'objet, à l'époque d'un scandale encore plus grand que les positions féministes d'Anne.

Dans "Agnès Grey", sous la fraîcheur de la jeune fille, on sentait déjà pointer un esprit ferme, lucide, fier et critique mais de là à penser qu'elle ait pu publier ce dernier roman seulement un an après! Il est d'ailleurs remarquable d'avoir su si bien transcrire l'évolution des sentiments d'Helen en préservant la fraîcheur du début d'une relation pour aller progressivement jusqu'à atteindre cette maturité austère quelques années plus tard!
L'analyse fine et détaillée de la psychologie des personnages principaux, des comportements qui en découlent, en particulier ceux de l'héroïne et de son soupirant Markham constitue indéniablement l'un des atouts majeurs de ce roman.
Quant à la construction qui intercale l'histoire centrale, sous la forme du journal d'Helen, dans une autre narration, celle de Markham, elle s'avère extrêmement habile et pertinente. D'abord, elle permet un double regard: vécu de la première d'une part et reflet de sa conduite dans le miroir de la société au travers des doutes de Markham et des dénigrements auxquels il doit faire face d'autre part. De plus, le début et la fin du roman, qui encadrent le journal véhiculent tout le mystère et le suspense qui attisent l'intérêt du lecteur.

Enfin, il faut savoir que (toujours selon la préfacière) "ce roman majeur fut mis sous le boisseau par Charlotte, trop timorée pour assurer l'héritage social de sa soeur". En conclusion, je dirais que, nonobstant ces déclarations de foi qui ont parfois exaspéré l'athée que je suis, ce roman vaut bien la "Jane Eyre" de Charlotte, révèle à la fois un vrai talent d'écrivain et une personnalité paradoxalement peut-être plus mûre que celle de ses soeurs, en tout cas pas moins digne d'intérêt.

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Passion, déchéance et tourments par l'une des soeurs Brontë

10 étoiles

Critique de Pierrequiroule (Paris, Inscrite le 13 avril 2006, 43 ans) - 21 octobre 2012

Le roman associé par la postérité au nom d’Anne Brontë est sans conteste « Agnès Grey », livre sympathique et lumineux, mais à mon sens beaucoup moins abouti que « La dame de Wildfell Hall ». Cette œuvre, écrite à peine un an plus tard (1848), est pourtant un roman de la maturité.

La structure même du roman est très intéressante. Il s’agit en réalité de deux récits emboîtés.
- Le premier raconte l’histoire de Gilbert Markham, jeune propriétaire terrien, à travers les lettres que celui-ci adresse à son beau-frère Halford, vingt ans après le début des évènements. Cette partie du roman nous permet de mieux faire connaissance avec les habitants du village de L…, une petite communauté bourgeoise où les commérages vont bon train. En effet, depuis quelque temps, le manoir isolé de Wildfell Hall, est loué par une mystérieuse veuve et son fils. Quel secret cache-t-elle ? Pourquoi ses manières et ses principes d’éducation sont-ils si étranges ? Et ce Mr Lawrence, ne serait-il pas plus qu’un propriétaire pour la dame du manoir ? Malgré ces ragots, une amitié se noue entre Gilbert et Helen Graham, amitié qui peu à peu laissera place à des sentiments plus tendres. Pourtant Gilbert est dévoré par la jalousie.
- C’est alors qu’intervient le second récit. Helen Graham confie son journal à Mr Markham pour se justifier aux yeux de son ami en l'éclairant sur son passé. Le narrateur masculin cède donc la parole à une voix féminine. Cette partie du roman est la plus dramatique. Elle raconte la vie d’Helen, depuis son entrée dans le monde et l’éclosion de son amour jusqu’à la lente décomposition de son couple à cause d’un mari débauché. Le journal s'arrête lorsque la dame arrive à Wildfell Hall.
- Enfin, nous revenons aux lettres de Gilbert Markham pour découvrir le sort de la dame du manoir et l’évolution de sa relation avec Gilbert. Ce dernier y insère des fragments de lettres rédigées par Helen. La narration se fait donc à plusieurs niveaux, à plusieurs voix. A ce stade du récit, il s’agit d’un amour impossible et Helen choisit de sacrifier la passion au devoir conjugal au nom de principes religieux qui donnent sens à sa vie. Vous en dire plus serait déflorer l’histoire…

Ce roman, signé Acton Bell, a fait scandale dès lors qu’on a appris la véritable identité de son auteur. Il s’agit en effet d’une œuvre fort audacieuse, surtout quand on sait qu'elle a été écrite par une femme.

Tout d’abord, les positions d’Anne Brontë sont clairement féministes ; Helen Graham remet en cause les rôles homme/femme, immuables dans l’Angleterre victorienne ; elle souhaite aussi une éducation moins différenciée entre les filles et les garçons et revendique pour la femme le droit au bonheur conjugal. La dame du manoir va même jusqu’à défendre le célibat, préférable à un mariage d’intérêt et sans affinités entre les partenaires. Cette position est inconcevable dans une société très conservatrice où la vieille fille est méprisable, voire suspecte. C’est bien la solitude et la liberté apparente d’Helen qui attirent sur elle le scandale. Elle gagne sa vie comme peintre après avoir quitté son mari ; c’est donc une femme en rébellion contre les lois sociales. Ce personnage est d’ailleurs jugé par la critique littéraire comme dur et dépourvu des qualités agréables chez une femme. Pourtant Helen Graham ne manque pas de vertu, de générosité et de ferveur religieuse. Elle accomplit jusqu’au bout son devoir, quitte à risquer son bonheur terrestre.

D’autre part, ce roman comporte des scènes de tortures morales et de brutalités physiques jugées inconvenantes. Mais c’est surtout la peinture réaliste de la débauche qui choque les contemporains. Il est certain qu’Anne Brontë maîtrisait le sujet, puisqu’elle avait assisté à la lente déchéance de son frère Branwell, un artiste raté, alcoolique et opiomane.

Socialement en avance sur son temps, cette œuvre a donc été jetée aux oubliettes après un premier mouvement de curiosité. C’est grand dommage, car le roman est un véritable chef d’œuvre. Le style en est limpide ; le réalisme des personnages et de l’atmosphère permet de s’immerger immédiatement dans le récit. La progression dramatique est implacable, au point qu’il est très difficile d’interrompre la lecture malgré les 560 pages. Jusqu’au bout, le suspense est maintenu et on partage la fébrilité de Gilbert Markham quant à ses retrouvailles avec la belle dame.

Si vous aimez les sœurs Brontë, ne passez pas à côté de cet extraordinaire roman qui se dévore littéralement. Comme ses sœurs dans « Jane Eyre », « Le Professeur » ou « Hurlevent », Anne a mis dans ce roman un peu d’elle-même et beaucoup de l’univers tourmenté de la famille Brontë.

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