Aurore boréale
de Drago Jančar

critiqué par Débézed, le 4 octobre 2012
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Quand la boussole s’affole
Le 1° janvier 1938 un homme, d’affaires apparemment, arrive à Marburg an der Donau, Maribor, en Slovénie pour rencontrer un certain Jaroslav et parler de choses importantes concernant l’extension commerciale de leur entreprise. Mais Jaroslav se fait attendre, l’homme s’ennuie à l’hôtel, il déambule dans les rues à la recherche de souvenirs, il a choisi cette ville pour lieu de ce rendez-vous car il y a passé quelques années quand il était enfant.

Erdman, c’est le nom de cet homme d’affaires, c’est du moins ce qu’il prétend être, attend toujours désespérément son contact en se liant aussi bien avec la bourgeoisie marchande qu’avec la lie des bas quartiers de la ville. Il est à l’aise dans les deux milieux, il séduit la femme d’un riche propriétaire tout en festoyant avec les ivrognes et les illuminés qui hantent les bars louches. Ses déambulations et son comportement intriguent de plus en plus ses nouveaux amis et la police locale qui finissent par douter de l’existence de ce fameux Jaroslav. Erdman semble pris dans le piège de cette ville où il ne sait plus quoi faire mais dont il ne peut plus s’évader. Il ne sait même plus qui il est vraiment, « je sais que je dois moi aussi regarder au fond de ma mémoire » pour trouver le lien qui le lie à cette ville, pour se retrouver.

Tout bascule, un soir, quand le ciel s’embrase laissant croire à un gigantesque incendie mais ce n’est finalement qu’une aurore boréale dans laquelle les habitants voient cependant un signe annonciateur de catastrophes à venir. « Dans ce monde qui s’attend à ce que tout, avec l’aide de la science et des bonnes intentions sociales, tende vers la perfection, le mal est une faille. Et cette faille, à ce moment là de l’année 38, avait commencé à s’élargir…. » Alors, les événements s’enchaînent de plus en plus rapidement pour se cristalliser en un final digne de la violence qui sévit souvent dans les Balkans, dans une sauvagerie qui préfigure des débordements plus contemporains. « L’aurore boréale était l’annonce que le mal allait surgir sous peu. »

Erdman un personnage indéfinissable, bourgeois qu’il n’est peut-être pas, traîne savates des bas-fonds qu’il n’est pas plus mais peut-être un peu les deux. Un personnage double qui intrigue tous ceux qu’il fréquente. Avec ce texte lourd, lent, tortueux, pesant comme l’atmosphère qui règne en Europe centrale à cette époque, Jancar a certainement voulu plonger le lecteur dans cet avant cataclysme où toutes les communautés se resserraient sur elles-mêmes, s’épiaient, se testaient, se provoquaient sans véritablement croire à l’échéance inéluctable. Une image de la société juste avant l’explosion mais aussi une description pathologique du comportement d’un être atteint probablement d’une affection mentale. Une réflexion sur la dualité humaine, les comportements schizophréniques, la relativité de la réalité apparente et la responsabilité des individus dans une vision manichéenne du monde. « Oui, le cosmos est déchiré entre le bien et le mal, entre l’esprit la matière, entre l’âme et le corps, entre l’ancienne et la nouvelle ère. »

« Quand une aurore boréale s’allume dans l’atmosphère, une agitation curieuse s’empare de l’aiguille de la boussole… »