Naciré et les machines, tome 1 : Les larmes de rouille
de Frédéric Pontarolo

critiqué par Jean Loup, le 3 décembre 2002
(Vaulx en Velin - 50 ans)


La note:  étoiles
Vision d'un univers bureaucratique et déshumanisé
Imaginez un univers quelque part entre "Brazil", "Délicatessen" et Kafka. C'est dans ce monde étrange, une cité industrielle dévorée par la rouille grimpante, que Naciré conduit quotidiennement sa locomotive jaune. Sous les ordres d'un chef autoritaire et dictatorial, il arpente les rails, qui ne cessent de rythmer sa vie que lors de son passage quotidien chez un boucher passionné mais distrait (il va se couper le bras, le prenant pour de la viande !). Mais un jour, il aperçoit une garde-barrière dont le visage empreint de beauté et de tristesse va le hanter. Il décide de provoquer une panne de sa locomotive afin de pouvoir parler avec la belle inconnue...
Univers original que celui de Pontarolo, qui permet d'intéressantes réflexions sur les excès de la bureaucratie et la déshumanisation des relations. L'auteur possède un graphisme particulier mais réussi qui impose d'emblée son style. Les couleurs sombres et ternes accompagnent joliment la mise en scène d'un monde manquant cruellement de couleur et de fantaisie. Mais si le dessin est séduisant, le scénario manque de rythme. Les 62 planches auraient gagné à être plus condensées pour mieux rendre justice à un album qui comporte plus que sa part de bonnes idées.
Ce premier tome de la trilogie est donc assez sympa mais ne se détache pas franchement du reste de la production bédé. Il mérite tout de même le coup d'oeil, surtout si vous êtes amateur d'univers originaux et poétiques.
monde mourant sauvé par des personnages colorés 9 étoiles

"Naciré et les Machines" est pour moi une des séries bédé les plus excellentes que je connaisse mais qui reste mystérieusement méconnue. Pourtant le monde décrit par Pontarolo est suffisamment intéressant pour qu'on s'y attarde. Comme Jean-Loup, je pointerais Kafka et Delicatessen (Caro et Jeunet) mais aussi l'ombre de Bilal comme figures tutélaires qui se seraient penchés sur le cerveau embué de Pontarolo pour lui souffler à l'oreille les principes qui l'ont guidé dans la composition de ce tome : opacité administrative, vies sans buts sinon la répétition de gestes immuables, ombre des machines, disparition de la nature, absurdité de la guerre...
Heureusement, la touche Jeunet/Caro ce serait la sérieuse dose d'humour et l'atmosphère surannée des personnages et des bâtisses, comme si le monde s'était brusquement arrêté dans les années trente pour bifurquer soudainement vers un avenir alternatif.
Finalement, Naciré c'est aussi le trait de Pontarolo et ses couleurs directes, suffisamment original pour attirer immanquablement l'oeil.

B1p - - 50 ans - 25 janvier 2004