Un secret de rue
de Fariba Vafi

critiqué par Débézed, le 28 septembre 2012
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Pauvres filles heureuses
Dans la région de Tabriz, au nord-est de l’Iran, une jeune femme, Homeyra, revient dans son quartier natal, son père est sur le point de décéder. Ce retour au pays fait remonter à sa mémoire une foule de souvenirs de son enfance et de son adolescence qui se mélangent, s’enchaînant comme les idées s’associent, suggérant des odeurs, des émotions, des joies, des corrections, des douleurs, des émois, des sentiments, …, faisant surgir toute une galerie de personnages qui peuplaient alors un bout de rue dans un quartier pauvre de la bourgade, son quartier, qu’elle ne quittait qu’au risque d’une sévère punition. « C’était un quartier secret, mystérieux. Alors que maintenant il n’y a plus aucun secret dans ces rues. »

Sa mère l’aimait peu, sa grand-mère ne voyait en elle que le diable, elle se réfugiait auprès de son amie qui était régulièrement battue par son frère qu’un père opiomane indolent laissait faire ce qu’il voulait pendant que sa mère se tuait au travail pour gagner quelques sous. Les deux filles enchaînaient facéties et farces à longueur de journées, au grand dam de leurs familles respectives, jusqu’au jour où l’amie, poussée à bout par la violence de son frère, dévoila un secret de famille qu’elle aurait mieux fait de taire.

C’est la chronique banale de familles pauvres et sans amour, de femmes contraintes et malmenées, d’enfants délaissés mais cependant battus. Et pourtant c’était « le bon temps » que la mémoire de la jeune femme évoque avec nostalgie, le temps de l’insouciance, de moments de liberté grappillés, d’expéditions vers l’inconnu au bout de la rue, de rires, de rigolades, de jeux innocents … le temps où l’enfance se noie progressivement dans l’adolescence. Et, finalement, les souvenirs ne peuvent plus contourner ce moment fatal, ce moment où tout bascula, ce moment où son enfance prit fin où elle mit un pied dans le monde adulte.

Un texte frais, alerte, construit comme il arrive à la mémoire, par association d’idées, une odeur évoque un lieu, un sentiment évoque un personnage, une porte évoque une scène, … et ainsi de suite, par touches successives, la vie du quartier se reconstruit avec ses joies et ses peines pour aboutir au drame final. Un livre plus près du témoignage que de la fiction qui vaut surtout par sa construction et la finesse des portraits que l’auteur dresse.