Autour de moi de Manuel Candré

Autour de moi de Manuel Candré

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par SidonieLasalle, le 22 septembre 2012 (Inscrite le 18 mars 2012, 49 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 183ème position).
Visites : 3 253 

Autour, dedans, au dessus et partout

"Un homme convoque jour après jour les souvenirs d’une enfance douloureuse et la revisite, avec force et parfois humour, entre les événements qui ont marqué son entrée dans le monde des adultes : mort de sa mère, violence de son père et existence morose chez ses grands-parents, rythmée par les saisons et les gestes du quotidien".

Ce bref et poignant livre de 98 pages embarque d'emblée le lecteur dans un voyage rude, barbare et sublime, rythmé par les fragments asynchrones d'un passé oscillant entre douleurs et espoirs. Douleurs de l'absence, de cette mère morte presqu'en silence. L'absence d'un père rongé par la souffrance, alcoolique et violent.
Les espoirs dérisoires et essentiels d'un enfant à l'âme meurtrie :

"Mon chien et ma mère se ressemblent. Ils font les mêmes crises d’épilepsie sur le tapis de la chambre ou sous la table de la cuisine.
Mon chien a mordu le fil électrique de l’aspirateur de ma mère un jour de ménage. Logiquement il a tout pris dans la gueule. Ma mère est morte avant mon chien. J’ai le faible espoir qu’il passe au travers, la pensée magique que tout va s’arranger puisqu’on a déjà pris ma mère."

"C’est mon père qui, en repartant en camionnette, a projeté le chaton qui s’est glissé entre la roue et le garde-boue. Oh je ne sais plus. Je sais qu’il fait froid. Parce que j’ai l’idée de fourrer ce petit corps gelé dans le four pour le réchauffer. Je le pose sur une grille en laissant la porte ouverte. C’est le four du poêle. Et là je m’assoie et je prie. Je prie Dieu avec son grand d pour qu’il ressuscite le chaton. Je mets tout ce que j’ai dans cette prière. Je lui dis que je ne demanderai plus jamais rien après ça, juste qu’il sauve le chaton."

Ce même chaton que l'on écrase contre un mur dans toute la violence de sa cruauté d'enfant.

La mode est aux journaux intimes, aux autobios romancées et aux histoires vécues, souvent dramatiques. J'ai craint, avant d'ouvrir cette petite pépite couverte de rouge, de ne lire qu'un nouvel opus du genre. Il n'en est rien. Ni débordements de colère ni tergiversations, juste des mots bruts et directs, qui frappent et empoignent le ventre, un style hypnotisant de vérité, des cris contre le silence qui ronge et abîme. Manuel Candré nous convie à la visite de son enfance, une visite brutale éclairée de moments de grâce. On ne tombe jamais dans le pathos larmoyant. Ce livre conte l'absence et la terreur, les rêves aussi.
"Attendre, ça je sais faire. L'attente secrète tapie au fond du coeur".

La culpabilité est également au coeur de ce roman, tel l'enfant qui se demande si sa mère serait toujours en vie s'il avait bu son jus de carottes quotidien. Ou croit qu'il a tué une poule.

«Mon Dieu, je suis un meurtrier de poule. Quand on arrive sur les lieux du crime, la poule s'est remise sur ses pattes et elle titube. Ses yeux sont encore voilés. Ma grand-mère la prend dans ses bras et la caresse un moment. Cette fois-ci, j'ai eu chaud, j'échappe à un invraisemblable sentiment de culpabilité. Ma grand-mère me dit tu vois, elle va bien. La poule et elle me regardent, de biais. Elle la pose à terre. La poule vacille. Moi, je regarde mes pieds puis la poule qui s'éloigne, encore saoule.»

La rage de l'enfant nourri de violence, qui s'est construit avec et à travers elle, qui tue et frappe, qui veut maitriser les existences pour venger l'injustice de la mort, privée de deuil, de sa mère :
« Ma mère est allongée dans le couloir de l’appartement de ma grand-mère. Elle convulse. Ca la fait pisser sur la moquette gris foncé. Les cheveux ras comme un feu de brousse. Là, quelqu’un me prend par les épaules et m’emmène ailleurs. Dernière image. Je vais attendre plus de trente ans avant de la revoir. »

Le style ne laisse guère de place à la ponctuation (ce qui peut gêner certains lecteurs), les phrases s'enchainent, comme une urgence. Chaque paragraphe est un coup de poing.
Manuel Candré nous livre-t-il sa propre histoire? Je n'en sais rien. Peu importe. Ce livre est celui d'un adulte qui se souvient.

Ce roman troublant se termine par de belles et poignantes pages. Je l'ai refermé comme on replie un drap autour de soi, pour cesser de trembler. Emue.

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Les éditions

  • Autour de moi [Texte imprimé], roman Manuel Candré
    de Candré, Manuel
    Joëlle Losfeld / Littérature française (Paris. 2004)
    ISBN : 9782072472947 ; 11,90 € ; 30/08/2012 ; 98 p. ; Broché
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"Je veux crever."

10 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans) - 25 novembre 2012

Ils sont puissants, ces petits textes écrits de juillet 2007 à septembre 2010 de manière chronologique mais dont le contenu est temporellement aléatoire et retranscrit au hasard des souvenirs attrapés.
Le premier laisse planer un léger mystère qui sera résolu en fin d'ouvrage, comme un point d'orgue, ou bien un point final, à une enfance et une adolescence plus que malmenées.
Littérairement, on appréciera les bribes de certaines anecdotes qui restent un peu en suspens et sur lesquelles l'auteur revient plus tard, lorsqu'un pan de vie vient recouper les premiers.
La langue est sèche, directe, le présent de narration rend le souvenir très vivace, la dureté du propos se fait sans ambages, parfois dans une certaine naïveté enfantine qui renforce la dimension dramatique de ce qui se joue au lieu d'attendrir ou de faire sourire.

Enfance dévastée par une insécurité affective palpable à chaque page, par l'absence, les larmes, le sang, la violence et puis la mort.
Que ce soit celle de l'animal adoré ou celle de l'être le plus cher, elle laisse une trace indélébile, celle du "poids qui pèse tant sur le coeur et qui finit par l'emporter dans sa chute, tout en bas [...]"

"Les lèvres blanchies par le chagrin
J'ai fini par mettre le doigt dessus sur ce qui fait de la tristesse un lac noir reposant sur une colère de boue disposée dans la cuvette, centre et bords."

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