Des Cercles dans la forêt
de Dalene Matthee

critiqué par Pierrequiroule, le 28 septembre 2012
(Paris - 43 ans)


La note:  étoiles
Le frère de l'éléphant
Je suis étonnée qu’il n’y ait encore aucune critique sur cette auteure sud-africaine si talentueuse ! Il est vrai que seuls deux de ses livres sont traduits en français et qu’ils n’ont pas été réédités dernièrement (mais vous les trouverez facilement d’occasion). Dalene Matthee (1938-2005), descendante de Walter Scott lui-même, a écrit surtout en afrikaans, la langue des Boers. Et c’est à ces enfants d’immigrés hollandais qu’elle s’est intéressée dans ses romans.

J’ai choisi de commencer par l’un de mes romans préférés : « Des cercles dans la forêt ». L’histoire se passe dans les années 1860-1890 dans la région de Knysna, couverte d’une forêt épaisse et peuplée d’animaux exotiques qui sont au cœur même de l’intrigue. Sur cette contrée impénétrable règnent les Grands Pieds, autrement dit les éléphants, animaux craints au point qu’aucun habitant des forêts n’ose prononcer leur nom. Parmi ces habitants se trouvent les Barnard. Bûcherons de père en fils, ils mènent une vie rude dans ces bois sauvages qui les nourrissent à grande peine. Malgré leur respect pour la forêt, ils se voient contraints de la détruire peu à peu en échange des misérables vivres concédées par les marchands du village. Car ces « hommes de bois » sont terriblement méprisés et exploités par la société anglo-boer. Analphabètes, sales et parlant un « hollandais de cuisine », ils sont considérés comme des sauvages malgré leur connaissance innée de la nature. C’est au cœur de cette communauté fermée que nous introduit Dalene Matthee, communauté marquée par le courage, la piété et une solidarité sans faille. Pourtant une dissension surgit dans la famille Barnard. Saul, le fils cadet, ose remettre en cause l’ordre établi. Il s’interroge sur des vérités admises par tous et veut secouer le joug qui oppresse les bûcherons depuis des générations. Mais c’est avant tout la forêt qu’il défend. La destruction d’essences rares pour un prix dérisoire, l’impitoyable chasse aux éléphants sacrifiés au trafic d’ivoire, tout cela révolte le jeune Saul, alors que son frère Jozeph semble résigné à perpétuer cette exploitation. Progressivement rejeté par sa famille, Saul se fait la promesse de ne plus jamais porter de chaussures trouées. Quittant sa condition de bûcheron, il est tour à tour porteur, orpailleur, menuisier, et même chasseur d'éléphant. Face à la mer, Saul rêve d’horizons nouveaux. Ainsi, tout au long du roman il est tiraillé entre deux sentiments. D’une part il aspire à devenir un être « civilisé », pour se rapprocher de la jeune Kate dont il tombe amoureux. Mais par ailleurs la forêt ne cessera jamais de le hanter; elle l’attache par des liens mystérieux, à l’image de ceux qui unissent Saul à l’Ancien, le patriarche des éléphants.

Roman d’aventures et d’amour, parcours initiatique et réflexion écologique tout à la fois, ce livre est un véritable chef d’œuvre. Le style en est poétique et fluide. Le va-et-vient permanent entre le passé et le présent du héros contribue à l’originalité du roman sans nuire à sa clarté. Quant au titre, il symbolise à la fois la marche de l’éléphant, animal emblématique de la forêt, et le parcours du héros qui reviendra –certes grandi- à ses origines.