Lettres aux années de nostalgie
de Kenzaburō Ōe

critiqué par Tistou, le 4 septembre 2012
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Davantage autobiographie que roman …
Etrange objet que ces « Lettres aux années de nostalgie ». Etrange objet pas si facile à lire. Le genre d’ouvrages type « Belle du seigneur » d’Albert Cohen ou « Justine » de Lawrence Durrell, qui vous marquent une œuvre mais qui ne sont pas faciles à avaler. Et qui me paraissent justifier l’attribution d’un Prix Nobel de Littérature.
Le titre pourrait laisser à penser que nous nous trouvons en face d’une collection de textes, type nouvelles, ou lettres donc … mais non, rien de tout cela. « Lettres aux années de nostalgie » est un ouvrage dense dans lequel Kenzaburo Ôé nous fait incontestablement rentrer dans son intimité, de même qu’il disserte sur le processus créatif d’un écrivain, sur l’étincelle qui peut faire basculer quelqu’un qui se destinait à l’Histoire en écrivain.
On y retrouve d’ailleurs des éléments concernant les phases d’écriture de certains de ses romans ou nouvelles, telles « Le faste des morts », la nouvelle éponyme, ou « Seventeen », du même recueil. Concernant « Seventeen », ça va même plus loin puisqu’il développe les ennuis auxquels il a été confronté après la publication de cette nouvelle.
« Lettre aux années de nostalgie », c’est un peu le « En marge » de Jim Harrison pour Kenzaburo Ôé.
Le jeune Kenzaburo Ôé, né dans l’île de Shikoku, connait une prime enfance peu aisée, élevé par sa mère seule, dans un milieu rural plutôt isolé, à l’orée d’une grande forêt. Cette situation d’enfant peu favorisé, avec peu d’ouvertures sur le monde extérieur, l’amène à rencontrer, et à ne plus quitter, un individu qui restera relativement mystérieux jusqu’au bout du roman, de quelques années son aîné, d’une famille pour le coup favorisée, grand propriétaire terrien, qu’on connaîtra sous le patronyme de « Frère-Gii », un « fondu » de « La divine Comédie » de Dante ou de la poésie de Yeats. Il sera son mentor, enfant, l’initiant à la poésie anglaise, à l’apprentissage des langues, à une certaine philosophie de vie. Et puis Kenzaburo Ôé va grandir, s’émanciper en devenant étudiant et très rapidement connaître le succès avec ses nouvelles. Pour autant il ne coupera jamais le contact, ou alors ponctuellement, avec Frère-Gii qui, lui, tentera de mettre à l’œuvre des ambitions un peu démesurées. On comprend que Frère-Gii connaîtra des évènements peu communs. Que Kenzaburo Ôé jouera quelque part aussi un rôle de mentor auprès de lui, une véritable fascination mutuelle se nouant entre ces deux-là.
Et Ôé en profite pour rentrer dans la problématique du processus créatif d’écriture. Les évènements qu’il nous raconte nous permettent de mieux comprendre la genèse de certains romans, « Une affaire personnelle », ou « Une existence tranquille » …
Et puis encore une fois, Kenzaburo Ôé nous donne à voir un Japon au quotidien bien loin des images d’Epinal qui courent sur le sujet ! Un Japon de sang, d’humeurs et de chair.