Les hommes et leurs gènes
de Albert Jacquard

critiqué par Bolcho, le 15 novembre 2002
(Bruxelles - 75 ans)


La note:  étoiles
Des gènes et du plaisir (d’accord, c’est un peu usé.)
Pour ceux et celles qui voudraient rafraîchir leurs connaissances en génétique. Je dis « rafraîchir » comme ça, pour être poli, mais nous sommes majoritairement une bande de « littéraires ». Il se pourrait donc que nous subissions là, plus qu’un simple ravalement de façade.
La première partie, très didactique, est aussi très mathématique (eh oui, les généticiens, ça farfouille beaucoup dans les formules absconses) mais assez indispensable pour bien percevoir l'importance de la suite.
Plutôt que de vous faire un pénible résumé de la chose, je me contente de relever de-ci, de-là, quelques faits et idées qui ont retenu mon attention.
Un peu d’histoire d'abord. Parmi les théories farfelues ayant eu cours et qui voulaient expliquer les mystères de la naissance humaine, la thèse de l' « emboîtement » a été très argumentée il y a quelques siècles. Dieu a créé tous les êtres humains « en déposant, dans le corps de l’individu initial, un modèle réduit de chacun des membres à venir (.) ». « Ainsi (…) chacun de nous était fabriqué dans un spermatozoïde paternel, qui lui-même l'était dans un spermatozoïde grand paternel…et ainsi de suite jusqu’à Adam ». Du moins les « spermatistes » disaient-ils cela, alors que les « ovistes » désignaient les ovules et Eve.
Qu'est-ce que le « vivant » ? Une structure matérielle hypercomplexe dotée de séquences d’ADN. Manifestement, Albert Jacquard n’a pas l’habitude de forcer sur la bouteille ou les herbes 'fumeuses’ ce qui lui permet de rester avec aisance au ras des pâquerettes.
Commentaire amusant sur le gène de l’altruisme, dont sont dotés les individus qui pour sauver le groupe attirent sur eux l’attention du prédateur (non, là, Jacquard ne parle pas spécialement des Hommes). Ces individus transmettent moins leurs gènes puisqu'ils meurent plus vite. Oui. Mais, utiles au groupe, ils peuvent aussi être protégés dans d’autres circonstances ou bien être des partenaires sexuels privilégiés. D'où leur maintien malgré tout. (Où il est le prédateur ? Où il est ?)
La thèse darwiniste (l’évolution joue sur les avantages sélectifs) a été un peu corrigée par la thèse neutraliste qui se contente du hasard comme moteur de l'évolution. En fait, nous nous percevons comme « adaptés » et voyons l'évolution comme un trajet vers un mieux, mais c'est une sorte d'illusion d’optique, une manifestation de notre suffisance. Adaptés à notre environnement ? Bof. Surtout bien obligés de faire avec ce que nous sommes. Si nous avions pu voler ou vivre sous l’eau, nous aurions été satisfaits aussi, non ?
Vous voulez en savoir plus sur le phénotype, le génotype et le locus (si, si, c'est passionnant) ? Vous voulez vous laisser bercer par le délicieux humour d’Albert-à-la-bonne-bouille ? Lui laisser répéter que le racisme est décidément une grosse imbécillité du point de vue scientifique puisqu'il n’y a pas de races dans l’espèce humaine (les commentaires sur les couleurs de peau sont tout simples : on en arriverait à souhaiter avoir sous la main un Front National « bon teint » pour lui lire tout haut) ?
Si vous voulez tout ça, ce petit opuscule est un bon choix. Et si vous ne le voulez pas, je vous offre pour pas cher ses narquoises remarques concernant « l'amélioration » des espèces.
« Les éleveurs ont été merveilleusement efficaces dans leurs efforts pour améliorer les animaux. Les pur-sang que nous admirons sur les hippodromes sont un exemple de ces succès. Mais serions-nous aussi émerveillés si nous étions des chevaux ? En réalité, ces produits de la sélection sont des animaux débiles qui ne pourraient survivre sans notre aide. Ils savent courir vite, mais c'est la seule chose qu'ils savent faire. Les éleveurs n’ont nullement 'amélioré la race chevaline’ ; ils ont amélioré sa vitesse à la course, sur de courtes distances, au détriment de ses autres capacités. Le patrimoine génétique de ces animaux n'est pas ‘pur’, il est pauvre. » Et, dans la même idée, à propos de la Banque du sperme des prix Nobel. « Les femmes désireuses de se faire inséminer étaient invitées à se fournir dans cette banque, ce qui accroissait leur chance de donner naissance à un enfant intelligent. Un battage journalistique a été orchestré autour de cette initiative évidemment grotesque. Dans leurs spermatozoïdes, les scientifiques donneurs ne transmettaient que la moitié des gènes qui avaient, de près ou de loin, contribué à leurs facultés intellectuelles et non ces facultés elles-mêmes. Un spermatozoïde ou un ovule ne sont ni intelligents ni stupides, pas plus qu'un bloc de marbre ne préfigure la statue qui sera sculptée ».