Les artistes de la mémoire de Jeffrey Moore

Les artistes de la mémoire de Jeffrey Moore
(The memory artists)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Libris québécis, le 6 février 2013 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 297ème position).
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Rimbaud et Baudelaire victimes de synesthésie et d'hypermnésie

Jeffrey S. Moore, diplômé de la Sorbonne, habite les Laurentides. Avec son roman, il se penche sur les troubles de la mémoire. Son héros, Noel Burun souffre de synesthésie. Des couleurs et des formes se joignent aux mots qu’il entend. Il aimerait bien identifier l’origine de cette association, dont Rimbaud a témoigné dans son poème Voyelles : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu. » Ainsi la réalité se dissocie difficilement du monde parallèle créé par son cerveau. À cette perception chromatique et figurative s’ajoute son hypermnésie, qui, tel un ordinateur, sauvegarde toutes les données que lui a livrées l’existence. Comme Baudelaire, il peut s’écrier : « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. » En somme, ce problème est la version antinomique de la maladie d’Alzheimer.

L’auteur trace le profil de tous ces maux à travers Noel et sa mère Stella, atteinte à 56 ans de dégénérescence mémorielle. Le fils demande au Dr Émile Vorta, un neuropsychologue, de concocter une drogue qui la sauverait. Faire soigner sa mère et s’en occuper à temps plein sont deux choses différentes. La tâche représente un défi qu’il relève grâce à ses amis, des jeunes patients du célèbre chercheur, qui viennent s’installer chez lui après avoir perdu leur logement. Le hasard fait bien les choses. Tous apportent leur contribution pour éveiller la mémoire de leur hôte. Noel, le scientifique, profite du laboratoire de son père, un chimiste qui s’est suicidé, pour travailler secrètement de son côté à l’élaboration d’un médicament miraculeux. Norval, hédoniste dévoyé, tente de ressusciter le désir de charmer de Stella. JJ Yelle apporte ses connaissances ésotériques pour appuyer les recherches de son ami, et Samira Darwich, une ex-comédienne arabe, participe à cette guérison en fournissant des informations tirées des Contes des mille et une nuits qui pourraient aiguiller Noel vers un élixir ad hoc.

Les personnages cherchent une catharsis à leurs problèmes en devenant des « artistes de la mémoire » engagés dans une lutte pour parer à leurs carences. L’auteur laisse entendre que la pharmacopée seule ne peut parvenir à des résultats concluants. La guérison dépend d’une panoplie de moyens qui dépassent largement les officines médicales. Comme dans Ensemble, c’est tout, un roman très people d’Anna Gavalda, la convivialité, l’amitié, l’amour et, surtout, la culture composent les éléments de la recette opérante. En somme, la science, l’entraide et, surtout, la poésie sont essentiels à toute guérison. Cet angle humaniste jette une douche froide sur les prétentions des consortiums pharmacologiques. Le bon fonctionnement de l’organisme est intimement lié aux besoins de l’âme. Mens sana in corpore sano. Le journal intime de chacun révèle les difficultés éprouvées pour rencontrer cet objectif, mais grâce à la résilience qui les a transmués en aides soignants, ils perçoivent la lumière au bout du tunnel.

L’éditeur compare Les Artiste de la mémoire à L’Histoire de Pi de Yann Martel. Le rapprochement ne tient que pour le code de vie que livrent ces deux auteurs. Là s’arrête la comparaison. Le livre de Martel véhicule un message transcendantal alors que celui de Jeffrey Moore contourne la verticalité. L’écriture distingue aussi l’un de l’autre. Jeffrey Moore n’a pas la plume fluide de son confrère. Sa phrase dense est d’une lourdeur qui retient notre enthousiasme. Rédigé comme un rapport de recherche, le roman perd en art romanesque ce qu’il gagne comme discours informatif. L’auteur mêle les genres afin de mieux éclairer ses personnages, mais tous les journaux intimes, les interviews, les coupures de presse, les notes de laboratoire, les dialogues omniprésents créent un kaléidoscope qui donne l’impression de courir à travers une jungle. Il reste que Jeffrey Moore a écrit une œuvre riche, touchante, voire humoristique. Bref, c’est quand même une belle illustration de la devise des trois mousquetaires : « Tous pour un, un pour tous. »

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Un livre riche et profond

8 étoiles

Critique de Maybel (, Inscrite le 23 février 2005, 34 ans) - 22 juillet 2013

Cette critique en quatrième couverture résume assez bien ce que j'ai pensé du livre : "Il ne m'arrive pas souvent d'être incapable de déterminer si une histoire est réelle ou fictive... Jeffrey Moore se sert du génie et de la synesthésie de Noel pour décrire magnifiquement des personnages hauts en couleur (et souffrant de probèmes de mémoire); la maladie de sa mère lui permet également d'exprimer la souffrance que l'on ressent devant l'inexorable déclin d'un être cher. Moore trouve aussi le temps d'étudier le milieu souvent trouble de la recherche médicale et de parler du rôle d'intermédiaire entre la science et l'art joué par la médecine... Merveilleusement intense." The Lancet"

Un livre qui exploite de façon intelligente un thème plutôt original: les troubles de la mémoire. Grâce aux touches d'humour, le roman ne sombre pas dans la noirceur; l'auteur réussit à nous tirer un sourire et à ficeler l'histoire de façon à ce que l'espoir soit toujours présent, malgré la lourdeur des conditions psychologiques des personnages. Beaucoup de références culturelles: littérature, poésie, peinture ainsi que médecins et chimistes célèbres, qui nous ouvrent sur le monde (à moins d'en connaître un rayon sur pas mal tout!).

Les personnages apportent tous une touche différente et essentielle. Noel avec sa mémoire phénoménale nous permet d'accéder à un univers de connaissances, il est tourmenté et profond. Samira, chaleureuse et empathique. Jean-Jacques, loufoque, optimiste, qui apporte de la joie autant aux personnages du roman qu'au lecteur. Norval, cynique, bourgeois, mordant qui permet d'autres références culturelles et provoque, à sa façon, des réflexions.

Bref... une lecture enrichissante et marquante, à mon avis !

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