Supplément à la vie de Barbara Loden
de Nathalie Léger

critiqué par Ichampas, le 29 novembre 2013
(Saint-Gille - 60 ans)


La note:  étoiles
Une femme, des femmes ...
Quatrième de couverture
«Tout se présentait bien. Je ne devais écrire qu'une notice dans un dictionnaire de cinéma. N'y mettez pas trop de cœur, m'avait dit l'éditeur au téléphone. Cette fois-ci, j'étais très sûre de moi. Convaincue que pour en écrire peu il fallait en savoir long, je plongeai dans la chronologie générale des Etats-Unis, traversai l’histoire de l’autoportrait de l’Antiquité à nos jours, bifurquai vers la sociologie de la femme dans les années 1950 à 1970, compulsai avec entrain des encyclopédies, des dictionnaires et des biographies, accumulai des informations sur le cinéma-vérité, les avant-gardistes artistiques, le théâtre à New York. J’avais le sentiment de maîtriser un énorme chantier dont j’extrairais une miniature de modernité réduite à sa plus simple complexité : une femme raconte sa propre histoire à travers celle d’une autre. »

Mon avis
Un récit qui devait être celui d’une vie, celle de Barbara Loden, eh bien non, des moments de vie de femmes, des émotions de femmes, en fait un récit un peu décousu mais bien écrit.
Le film d'une vie 8 étoiles

Chargée de la rédaction d’une notice pour un dictionnaire du cinéma, Nathalie Léger, convaincue que pour en écrire peu il fallait en savoir long, se met en quête d’informations sur son sujet, Barbara Loden et le seul film qu’elle a réalisé : "Wanda".

Un sujet qui va vite résonner avec ses interrogations personnelles et avec l’histoire de sa mère qui court en filigrane du livre. La mère de la narratrice lui demande d’ailleurs quelle est l’histoire de ce film qu’elle va nous raconter par fragments. Une femme fait coïncider sa propre histoire à travers celle d’un autre. Sauf que, lorsqu’on creuse, contextualise, met en relation, cela se complexifie vite et déborde de tous les cadres fixés, de tous les genres recensés.

Nathalie Léger réussit à mettre la main sur une coupure de presse de 1960, rapportant le fait divers d’où est tiré le film de Loden. Le film (qui n’a d’ailleurs connu aucun succès lors de sa sortie en 1971) est une sorte d’anti-Bonnie and Clyde (1967) où Loden interprète une Bonnie triste, désoeuvrée, alors que la Bonnie du film de Penn est interprétée par Faye Dunaway qui joua d’une certaine manière le personnage de Barbara Loden dans L’Arrangement (1969) de Kazan (qui fut son mari), tiré de son roman. A-t-elle voulu, piste non envisagée dans le récit de Léger, donner le contre-pied du film qui fit la renommée de Dunaway (qui avait d’ailleurs été sa doublure en 1966 plus tôt dans une pièce d'Henry Miller sur la vie de Marilyn) et lui a d’une certaine façon soufflé le rôle de sa vie. On le voit, les connexions, bifurcations, influences sont plurielles quand il s’agit de détailler les jeux de liens entre personnes et événements.

Nathalie Léger se rendra au Connecticut et en Pennsylvanie sur les lieux du tournage où une étonnante rencontre avec un ami de jeunesse de Barbara, Mickey Mantle, rival de Di Maggio à sa grande époque, nous vaut la plus belle (et longue) phrase, proustienne en diable, du récit.

Léger prend ses distances avec les mouvements féministes historiques. Si elle met au centre de ses préoccupations la condition féminine, elle le fait du point de vue de la femme dans le désarroi, contrainte, dont la principale difficulté va consister à s’opposer par un non, même timide, même peu assuré à la volonté du mâle.

« En 1970, à la sortie du film, les féministes ont détesté Wanda. Elles ont durement critiqué Barbara Loden. (…) Elles voyaient dans Wanda une femme de l’assujettissement, incapable d’affirmer son désir, qui ne portait aucune revendication, ne créait même pas de contre-modèle militant, pas de prise de conscience, pas de nouvelle mythologie de la femme libre. Rien. »

Dans ce livre, Nathalie Léger ne résout rien, ne conclut pas. Elle interroge à travers ce livre les genres littéraires et cherche un objet littéraire apte à rendre compte de la complexité des choses de façon la plus juste et la sensible possible et se demande C’est quoi, raconter une histoire. Ce récit, comme les autres de la trilogie, suggère une alternative, développe une possibilité dans la ligne de celles précédemment données.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 7 février 2019