Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours
de Howard Zinn

critiqué par Bolcho, le 7 novembre 2002
(Bruxelles - 75 ans)


La note:  étoiles
Au nom du Père, du fric et du Saint Empire yankee
Si vous voulez garder intact votre plaisir de spectateur pour la future guerre en Irak, ne lisez pas ce livre : il a tendance à rendre les bombes moins intelligentes, les frappes moins chirurgicales et les motivations de l’agresseur encore plus sordides.
C'est un livre d’histoire, de 1492 à l’élection de George XXX Bush très junior. Et ce n'est pas de l’histoire neutre et sévère, c'est un livre engagé. Howard Zinn (allez voir son site !) est un homme de convictions et ne s’en cache pas un instant : « il est du devoir des intellectuels de ne pas se ranger du côté des bourreaux ». Et il ajoute qu’il a écrit « (.) une Histoire qui penche clairement dans une certaine direction, ce qui ne [le] dérange guère tant les montagnes de livres d'histoire sous laquelle nous croulons penchent clairement dans l'autre sens ».
Le livre est long, détaillé, touffu. Il est évidemment impossible à résumer. Je me contenterai de prendre un biais pour en parler. Tiens, prenons, au hasard bien sûr, les guerres menées par les Etats-Unis, ce grand pays des libertés, le Bon en chef du camp des Bons. Et imaginons pour cela que vous avez été élu président de cette grande nation (ce n'est pas si difficile, rassurez-vous : il suffit de recueillir 25% des voix de l'électorat, ce qui, moyennant finances, est à la portée du premier imbécile venu; d’ailleurs, il est venu).
Aussitôt élu, vous auriez une furieuse envie de jouer avec tous les beaux avions et blindés et bateaux et canons qui ont coûté si cher, non ? Alors, comme n’importe quel président qui se respecte (« qui se respecte », vous êtes sûr ?), vous le feriez, ne serait-ce que pour faire plaisir à vos copains commerçants de tous poils qui vous ont arrosé de fric pendant votre campagne électorale pour que vous alliez leur ouvrir de nouveaux marchés étrangers à coups de bazookas. Et puis d'ailleurs vous n'auriez pas le choix. On ne met à ce poste que des gens parfaitement manipulables, cultivés ou ignares, acteurs de séries B ou vendeurs de cacahuètes, brillants orateurs ou analphabètes patentés (y a-t-il eu en Europe, où que ce soit, des personnages aussi creux que Reagan ou George XXX Bush très junior à la tête d'un état ?).
Donc, vous entrez en guerre. Mais comment ? C’est vrai, on manque d’habitude pour des choses comme ça. Pas grave. Suivez les conseils de tonton Bolcho, et vous réussirez très bien.
Le mieux est de subir un revers important au départ de manière à faire monter les pulsions patriotiques dans la population (car on a besoin d’elle pour aller de l'autre côté d’un océan se faire tuer). Ce revers, on peut le provoquer, comme à Pearl Harbor ou simplement profiter d’un événement particulier (Twin Towers), à moins de se faire sauter soi-même un navire de guerre (le « Maine ») en rade de La Havane, en 1898, pour entrer en guerre contre l'Espagne (268 marins périssent, mais, étrangement, il n’y avait ce soir-là aucun officier à bord). Ou bien, on peut voler au secours de la veuve et de l'orphelin (quitte à produire beaucoup plus d'autres veuves et orphelins) :
- Koweït : il faudrait parler là de provocation délibérée (voir les enregistrements des rencontres entre Saddam et l'ambassadeur américain à la veille de l’invasion de l’émirat pétrolier) dans un but électoral (le conseiller de Bush, John Sununu déclarait qu' « une guerre brève et couronnée de succès ferait parfaitement l’affaire de Bush et assurerait sa réélection », en quoi, d’ailleurs, il s'est trompé); - Serbie (surtout, éviter la diplomatie, c'est une constante de la politique étrangère américaine) ; - Panama : il s'agissait de traduire en justice le général Noriega pour trafic de drogue. 26000 soldats envahissent le Panama et font des centaines ou des milliers de morts (on ne sait pas, d'ailleurs ils n’étaient pas là pour compter n’est-ce pas) et 14000 sans abri.
Arrêtons là. Toutes les interventions militaires américaines se font au nom d'intérêts géostratégiques et commerciaux. Vous me direz que c’est le cas de l’immense majorité des guerres en général. Et vous aurez raison. Mais les Etats-Unis en font beaucoup. Et leurs dirigeants ont la candeur extrême de laisser exploser leur joie après coup. Brzezinski (ancien conseiller de Carter) s'exprimant après la guerre du Golfe : « (…) le Moyen-Orient et le Golfe Persique entrent maintenant clairement dans la zone d’influence américaine ».
Et je ne vous ai pas encore parlé de la guerre d’Indépendance, de la guerre de Sécession, des luttes sociales d'une violence meurtrière (déclaration de l'ex-président Coolidge sur le chômage, en 1930 : « lorsque de plus en plus de gens sont licenciés, le chômage augmente » ; devait avoir le QI de Bush junior celui-là), de l'attitude par rapport aux femmes (cette délicieuse citation extraite d'un magazine vers 1820 : « La religion est exactement ce dont une femme a besoin, car elle lui donne cette dignité qui sied si bien à sa dépendance »), de la question indienne (qu’il puisse y avoir aujourd’hui une jeep « Cherokee » adaptée aux grands espaces, cela relève d’un cynisme dur à avaler, un peu comme si dans quelques années, les Israéliens fabriquaient une jeep « Palestine », conçue pour circuler facilement dans les pierres et les ruines) et du racisme (durant la seconde guerre mondiale, les Américains ont embarqué des troupes sur le Queen Mary ; les Noirs étaient au fond du bateau, près des machines, en une sorte d’étrange remake des transports d’esclaves).
Les « Commentaires de Blackstone » sont un texte de nature juridique datant de l'Indépendance. On y trouve cela : « le respect de la loi pour la propriété privée est si grand qu’elle n'en supportera pas la moindre violation ; et ce même dans l’intérêt de l'ensemble de la communauté ». C’est toujours vrai actuellement et nous sommes aujourd’hui, en Europe, en train de nous soumettre (par le biais de l’OMC) au comportement prédateur des aventuriers américains qui ont fondé les Etats-Unis.
Il s’agit à la fois d'un livre majeur et d’une brique un peu indigeste. L'auteur nous gave de détails plus ou moins significatifs d’un côté et de synthèses magistrales de l'autre. Cette tension entre le particulier (le moindre mouvement de grève du moindre village nous est cité et fait sens) et le général n'améliore pas la lisibilité de l'ensemble. Mais la table des matières est fort bien faite et permet d’utiliser le livre comme ouvrage de référence après une première lecture.
Quant à moi, je voudrais m'excuser pour la longueur de cette intervention d’une part et surtout pour le ton très partisan dans lequel je me suis complu. Il est difficile de lire ce livre sans penser au présent et au futur proche. Et l'Histoire, c'est effectivement cela, que l'on dissimule parfois sous des oripeaux factuels : une relecture du passé à la lumière du présent.
Une histoire qui sue sang et eau 8 étoiles

Les Etats-Unis ne sont pas nés de l’épopée héroïque décrite traditionnellement dans les manuels scolaires fournis aux élèves américains mais bien d’un bain de sang, Christophe Colomb ayant dès son débarquement initié une politique d’esclavage et de massacres à l’encontre des autochtones. Les premiers Américains sont donc en réalité des colons européens faisant des Indiens les premières victimes de l’expansionnisme. Les politiques de déplacement des Indiens menées bien plus tard, et consistant à spolier et à repousser la population indienne de plus en plus loin jusqu’aux régions arides dont l’Amérique n’avait que faire, répondaient en effet au désir d’accroître davantage les territoires.

La politique d’expansion des Etats-Unis se caractérise dans un premier temps par une arrogance stupéfiante, comme l’indiquent ces mots à propos de l’annexion du Mexique : « [Cela serait] faillir à une noble mission que de refuser d’accepter les glorieux desseins d’une sage Providence ». Et puis, la guerre qu’elle soit menée à des fins expansionnistes ou non a cet avantage non négligeable qu’elle détourne la population des problèmes internes qu’ils soient politiques, sociaux, économiques ou raciaux. Quand lasse des affrontements extérieurs meurtriers et mobilisée par des préoccupations sociales bien plus proches d’elle, la population se montre nettement plus tiède quant aux guerres déclarées par le gouvernement, ce dernier n’a guère de scrupules à louvoyer. Par exemple en alertant le peuple qu’une menace communiste plane sur la démocratie ou encore en s’indignant de l’absence d’égalité et du non-respect des droits civiques dans les pays voisins alors que la lutte des classes et la lutte contre la ségrégation raciale font rage en son sein.

Et on lit avec stupéfaction les méthodes indignes employées par les dirigeants américains pour étendre ses territoires et exploiter les richesses d’autres nations pendant qu’une majeure partie de sa population vit dans la précarité, sous le seuil de pauvreté et dans la peur du lendemain. Car évidemment, seule une mince tranche de privilégiés profite des richesses acquises à la sueur des travailleurs blancs ou noirs. Disons en passant que certains présidents si charismatiques sont vus sous un jour nettement moins flatteur que celui présenté habituellement faisant par exemple de J.F. Kennedy un menteur politiquement consommé sous ses dehors de gendre idéal et de Abraham Lincoln qui se révèle être un homme plutôt accommodant, moins âpre à l’égalité qu’on a pu le faire croire.

Dans un premier temps, les problèmes raciaux et politiques occultent les problèmes économiques et les luttes de classes, pourtant bien présents. Les journées de travail sont excessivement longues, les salaires sont misérables alors que les profits engrangés par le patronat ne cessent de croître. Mais bientôt, les grèves se multiplient et les mouvements populistes apparaissent (années 1880). Mais même les briseurs de grèves et la répression sévère ne parviendront pas, à très long terme, à venir à bout du ras-le-bol populaire. La détermination des laissés pour compte est marquante et admirable. Le plus frappant dans tout cela est le recours systématique à la force mais aussi à des malversations du patronat et du gouvernement pour tenter de contenir les grèves. Pendant ces vagues de résistance des travailleurs, les syndicats – au temps où le syndicalisme avait encore de la substance- s’organisent pour lutter contre les ravages du capitalisme.

Les femmes et la population noire participent activement à la lutte malgré la pression exercée sur elles. Car les femmes subissent encore le paternalisme du patriarcat et n’obtiendront le droit de vote qu’en 1920 tandis que la population noire a encore en mémoire des années d’esclavage et essuie encore le racisme ambiant. Notons à ce sujet que Howard Zinn développe une théorie intéressante sur le racisme qui serait selon lui basé sur l’exploitation par les classes dirigeantes des ambitions humaines. Les intérêts et l’économie faisant encore une fois leur office, on peut vraiment dire que l’argent et le pouvoir (même minime) sont les nerfs de la guerre. Les années terribles de la ségrégation raciale ne sont évidemment pas passées sous silence d’autant que l’auteur a activement lutté en faveur des droits civiques.

On ne peut que constater les douteuses méthodes utilisées par une nation qui déclarera en 1776 que « tous les hommes naissent égaux ». Sans parler des camps de détention pour les Japonais et les communistes. En taisant aussi le rôle inquiétant des services secrets tels que la CIA et le FBI. A bien y réfléchir, aujourd’hui de quoi sont-ils capables quand on lit la responsabilité de la CIA dans l’introduction de la fièvre porcine à Cuba dans les années 70 ? Les Américains seraient d’ailleurs les concepteurs de la première arme bactériologique sous la forme de couvertures imprégnées de variole.

L’ouvrage s’arrête en 2002, au lendemain des attentats du 11 septembre, après avoir constaté l’énorme budget octroyé par le gouvernement à des fins militaires au détriment de l’environnement, du travail pour la paix et du bien-être social de la majeure partie de la population… et en déplorant le recours systématique à la force préféré à celui de la diplomatie.

Militant pour les droits civiques et pacifiste convaincu, Howard Zinn n’en est pas moins Professeur émérite au département de science politique de l’Université de Boston. C’est donc tout naturellement que son histoire populaire des Etats-Unis prend une dimension sociale. Si cette histoire sociale est teintée de subjectivité, elle n’en repose pas moins sur une solide documentation. Nul arrière-goût d’antiaméricanisme ni aucun acte de repentance ne s’en dégagent contrairement aux apparences. Howard Zinn constate et se montre simplement solidaire, concerné, plein d’empathie pour les victimes de l’impérialisme et du capitalisme américains.

Zinn fait prendre conscience au lecteur que au fond, l’histoire des Etats-Unis ne doit pas grand chose à ses Pères Fondateurs, ni à son gouvernement, ni à son patronat. Comme toute nation, elle est faite d’un argile pétri des larmes, de la sueur et du sang de ces hommes et de ces femmes qui ont lutté côte à côte en oubliant parfois pour un temps leurs divergences et leur couleur pour offrir à leurs enfants un monde qu’ils espéraient plus juste.

Un ouvrage très long mais très bien documenté qui se révèle assez prenant compte tenu de ses 770 pages. Il constitue une extraordinaire synthèse de l’histoire américaine de 1492 à 2002 d’un point de vue social et populaire. La tendance de l’auteur à indiquer les chiffres en toutes lettres alourdit cependant la lecture. Mais l’essentiel est qu’on en ressort plus informé que jamais.

Miss teigne - - 42 ans - 13 mai 2009


L'histoire otage de l'oubli et de l'erreur 10 étoiles

"L'oubli et même l'erreur historique sont un facteur essentiel de la création d'une nation" Ernest Renan

Dans le film " le cercle des poètes disparus ", il y a une scène où le professeur Keating demande à ses élèves éberlués d’ouvrir leurs manuels de poésie et d’en déchirer les pages qui fixent les règles de versification.

Et bien c’est exactement à cela que nous convie Howard Zinn, au sujet des manuels d’histoires expurgés des événements les plus tragiques de la naissance de la nation américaine. Il nous offre une lecture vivante et humaine de l’histoire des Etats Unis, en adoptant le point de vue des différentes communautés (culturelles, religieuse ou ethnique) constituant le peuple américain. Il s'oppose radicalement aux écrits des historiens qui tissent l'histoire des États-Unis suivant une trame assujettie aux discours d'un pouvoir qui tend, depuis les origines, à mythifier les événements fondateurs de l'identité américaine. Ces historiens, en posant un voile sur la vérité historique, se font les garants de l'amnésie collective ; ils privent les individus de la possibilité de se plonger dans une réflexion globale sur les brûlures du passé. Leurs attitudes irresponsables, motivée par l'idéologie du vainqueur, laisse le champ libre au pouvoir qui s'efforce d'inscrire l'avenir du pays dans une logique de fuite en avant cynique et absurde, défini en l'occurrence par les horizons lointains restant à conquérir.

Un peuple toujours sur la brèche, en révolte permanente contre les dirigeants Anglo-américains, puis Américain. Les dirigeants n'ont eu de cesse de maintenir hors d'état de nuire tous les mouvements populaires en lutte pour obtenir plus de liberté et de démocratie. Afin d'endiguer les velléités de contestation, ils exacerbèrent la pathologie immanente de toute civilisation : la peur et le rejet de l'autre. Que ce soit en dressant les communautés les unes contre les autres ou en les dressant contre un ennemi extérieur. Parvenant à développer au fil du temps un sentiment patriotique très fort, au point d'en devenir une mire d'aveuglement pour toute une partie de la population américaine, notamment les nouveaux arrivants qui y voyaient un moyen d'affirmer leur volonté d'intégration.

Je ne me pencherai, à titre d'exemple, que sur deux des nombreux événements de la naissance de la nation américaine longuement développés par l'auteur tout au long de son ouvrage.

Après avoir fait place net en repoussant les Amérindiens plus à l'Ouest, l'Empire britannique entreprend d'exploiter intensément toutes les richesses du nouveau monde grâce à ses treize colonies implantées sur le continent Nord américain. Rapidement les taxes de plus en plus élevées offusquent la très riche aristocratie Anglo-américaine qui voit là une partie des richesses lui échapper. Au même moment le peuple commence à gronder, il meurt de faim tandis que le pouvoir colonial vit dans l'opulence. Conscient de la menace qui pèse sur eux, le pouvoir colonial Anglo-américain décide de diriger la colère du peuple contre l'Empire Britannique. L'idée de l'indépendance vient de naître.

Devenue indépendant les Etats-Unis se dotent d'une constitution rédigée par les "Pères Fondateurs" (avant d'être les fondateurs de la patrie, ils avaient surtout pensé à fonder leurs propres fortunes en s'octroyant d'immenses domaines dignes des grands seigneurs). Tous riches propriétaires fonciers, souvent issus de familles Anglaises aisées et de surcroît ardent défenseur du droit de propriété, bien entendu. Soucieux de préserver leurs privilèges contre le peuple sans cesse en quête d'un avenir meilleur, ils verrouillent définitivement le projet de constitution en remettant entre les mains des hommes d'affaires et des grandes compagnies d'exploitation la destiné du pays. Et pour asseoir définitivement leur pouvoir, ils placent le droit de propriété au-dessus de toute autre prérogative, fusse au bénéfice de l'ensemble de la communauté. Il est important de savoir que seul une toute petite minorité possédaient la majorité des terres - parmi eux les pères fondateurs et ceux qu'ils représentaient, sans aucun scrupule.

Cette constitution prône la liberté pour tous les hommes ! Sauf qu'elle se garde bien d'étendre ce droit louable et généreux aux indiens sauvages, aux esclaves noirs …et aux femmes de condition inférieure. Précisons que si elles étaient un peu mieux traitées que les deux autres catégories d'individus avec lesquelles elles partageaient l'infortune des laisser pour compte, c'est tout simplement parce qu'elles représentaient la dynamique procréatrice du pays. Le droit de vote n'est accordé qu'aux hommes pouvant faire état d'un revenu annuel sonnant et trébuchant. Excluant les indiens, les noirs, les femmes et l'immense majorité de la population active. Ce système, en plaçant à la tête du pays les élites issues de l'aristocratie et du monde des affaires, s'apparente sans aucun doute au féodalisme.

A peine le nouveau système politique indépendant est-il mis en place que déjà des émeutes populaires éclatent un peu partout dans le pays. Pour circonscrire celles-ci le gouvernement incite les plus démunis à partir s'installer à l'ouest, le long de la frontière au-delà de laquelle se trouve les indiens réfugiés dans leur propre pays. Ainsi imaginent-ils utiliser les populations les plus instables comme rempart contre les indiens, ces derniers devenant de ce fait l'ennemi à combattre pour la défense de la mère patrie. Le gouvernement américain maintint ainsi hors d'état de nuire deux communautés susceptibles de menacer gravement son autorité, les sauvages luttant pour préserver leurs cultures et les pauvres blancs luttant pour accéder à une vie meilleure.

Howard Zinn aborde les aspects les plus méconnus de l'histoire des Etats-Unis, notamment les nombreuses grèves menées par la classe ouvrière pour la conquête de condition de travail et des salaires décents durant les années 1830, puis durant la crise de 1873. Toutes réprimées avec une violence inouïe qui fit des centaines de morts. Une crise suivie dans les années 1880 par l'émergence de grands patrons (Rockefeller, Morgan, Carnegie, etc …) qui en quelques années imposent un monopole implacable sur toute l'économie américaine. Ils s'emparent des principales compagnies d'exploitation minières, pétrolifères et de transport, au mépris parfois de la légalité et souvent de toute moralité. Au passage il récuse "le conte de fée sur la transformation du loqueteux en riche", seuls quelques rares individus ayant "réussi" sont effectivement issus du peuple d'en bas. Icônes idéales de la propagande capitaliste pour apaiser la population. Il décrit la politique expansionniste de l'empire américain, clairement définie par le président Monroe en 1823. Depuis l'éradication du problème indien jusqu'à la conquête des îles Hawaï et des Philippines, en passant par les multiples interventions militaires sur tout le continent sud américain pour y maintenir son emprise économique. Après les tentatives de conquête de l'Asie du sud-est, qui se solda par le désastre vietnamien, et l'évanouissement de la menace fantôme rouge, le pouvoir américain pointe désormais son œil acéré de faucon vers le moyen orient afin de satisfaire à ses pulsions hégémoniques.

Un ouvrage absolument incontournable pour tous ceux qui osent franchir sans vergogne les barrières dressées par les empêcheurs de penser en toute conscience. Qui s'efforcent de restreindre, par tous les moyens possibles, notre liberté d'accès à la connaissance. Une connaissance qui aboutit invariablement pour tous les hommes de bonne volonté à la compréhension du passé et conséquemment du présent.

Heyrike - Eure - 56 ans - 19 octobre 2005


Les U.S.A., pays de la Liberté (sic)... 8 étoiles

Dans ce livre, Howard Zinn, historien américain, nous conte l’histoire du peuple américain brimé par son élite financière dont fait partie l’ensemble de ses gouvernants.
Il débute donc avec l’oppression des Indiens des Caraïbes par Christophe Colomb, venu répandre la civilisation européenne. Résultat : des Indiens massacrés, réduits à l’esclavage. Ce n’est que la première étape d’une longue série d’oppressions, ponctuées de massacres, de la part de l’élite blanche au pouvoir envers les personnes extérieures à elle. Tout sera fait pour que cette populace reste sous le joug de ces élites. Certes, par la suite, celles-ci seront plus subtiles que Christophe Colomb et contrôleront le peuple par d’autres moyens que la répression féroce, même si celle-ci fera toujours partie des options...
C’est donc parti pour quatre siècles étouffants pour, en vrac, les pauvres Blancs, les fermiers, les femmes, les esclaves noirs puis pour les Noirs affranchis, les émigrants, les travailleurs... Certains cumulent les handicaps : fermiers noirs, ouvriers chinois ou, le pompon, travailleuses noires... A contrario, si vous êtes un homme blanc et si votre nom est Rockfeller ou Morgan, vous occupez le haut de la pyramide et votre seul oppresseur est le Dieu-Argent qui vous oblige à pressuriser vos employés jusqu’au trognon, à massacrer les Indiens qui osent occuper des terres fertiles dont (et c’est là leur crime) ces derniers ne profitent pas (s’ils étaient de bons fermiers qui achètent des engrais ou des machines agricoles, il n’y aurait pas besoin de mettre du plomb dans leur tête), à envoyer les Marines en Amérique Latine pour rétablir le bon (pour elles) droit des compagnies américaines, etc... Too bad.
Et pourtant, comme son nom l’indique, l’élite américaine n’est qu’une minorité en son pays. Si les masses s’étaient unies contre elle, elle n’aurait pas fait long feu. Mais c’est là que leur génie montre tout son éclat : elle mettra tout en oeuvre pour que le proverbe “Diviser pour régner” prenne réalité.
Pour éviter que les pauvres Blancs puissent s’unir avec les esclaves lors d’une insurrection générale, elle va dicter des lois qui auront comme conséquence l’émergence du racisme. Par conséquent, toute union Blanc-Noir aura du mal à se mettre en place.
Lors des grèves ouvrières, les compagnies feront appel aux nouveaux émigrants pour continuer à faire tourner leurs usines.
Bref, tout est fait pour empêcher la constitution d’un front uni.
Cependant, cela n’entrave pas la montée d’une forte contestation, en particulier dans le milieu ouvrier et dans celui-ci des droits civils. Dans ces cas-là, l’élite sort son arme la plus efficace : la répression policière ou, carrément, l’envoi des troupes fédérales. La (leur) société est ainsi préservée.
Et lorsque cela devient intenable, le Congrès passe des lois qui, dans leur ensemble, sont votées juste pour la galerie et n’améliorent pas de façon significative la vie des individus. En tous cas, à l’issue de ces lois, le système est préservé.
Que voulez-vous, ni les Démocrates ni les Républicains ne s’intéressent sérieusement aux conditions de vie du peuple américain. Ils sont souvent en déphasage complet avec leur population mais à l’unisson des intérêts financiers des compagnies US (d’après Cleveland, Président démocrate en 1884 qui succède à un Président républicain, “Aucun tort ne sera infligé au monde des affaires par mon Administration tant que je serai Président... un transfert du contrôle de l’exécutif d’un parti à un autre n’aura aucune conséquence sérieuse sur les conditions existantes.”). C’est la conséquence logique d’un système politique à deux partis, facilement contrôlable par l’élite.

Pour illustrer son propos, l’auteur utilise une foultitude d’exemples. Chaque exemple raconte l’épisode d’une lutte particulière, que ce soit pour les ouvriers, les droits civils, le féminisme,... Souvent, ces exemples sont courts (quelques lignes) et l’auteur les enchaîne. Alors, c’est certain, il vaut mieux être attentif lors de la lecture sinon on a vite fait de passer à travers de nombreuses tranches de vie. Cependant, la lecture est facilitée par le fait que la ligne de l’auteur est souvent claire (on sait d’où il part et où il veut arriver) et n’hésite pas à faire un résumé rapide de ce qu’on vient de lire. Heureusement, sinon, le lecteur serait vite irrémédiablement perdu sous la tonne d’exemples que l’auteur propose...

Il est temps maintenant de se tourner vers le futur. Car le système tant critiqué par Howard Zinn est toujours en place et a même tendance à se répandre. Est-ce irréversible ? Et si non, par quoi le remplacer ?

Benoit - Rouen - 43 ans - 8 février 2005


Rien de nouveau sous le soleil... 8 étoiles

Bolcho a pratiquement tout dit dans sa critique magistrale d'un livre qui l'est tout autant. Je n'ai pas grand chose à ajouter si ce n'est que ce livre est toujours d'une actualité brûlante.

La critique de Bolcho est datée du 7 novembre 2002. Depuis lors, la guerre en Irak a bien eu lieu (elle n'en finit d'ailleurs pas d'en finir...). Howard Zinn est aujourd'hui loin d'être le seul à dénoncer les motivations mercantiles et sordides de la "politique" étrangère des Etats-Unis (Farenheit 9/11 de Michael Moore, bien sûr, mais j'ai compté près d'une dizaine de livres sur le sujet rien que dans les suppléments "Livres" du "Globe and Mail" - un des principaux quotidiens canadiens - ces dernières semaines). De nouvelles élections présidentielles se profilent à l'horizon qui conduiront peut-être au remplacement de "Bush très junior" (j'aime décidément beaucoup cet expression de Bolcho!) par John Kerry. Je ne suis pas du tout convaincue que tout ce remue-ménage doive nous inciter à l'optimisme, mais le livre de Howard Zinn ne m'en paraît que plus essentiel pour comprendre les enjeux de ces élections, et les répercussions qu'elles peuvent avoir pour le monde dans lequel nous vivons...

C'est vrai que "Une histoire populaire de Etats-Unis" est d'un accès difficile, il m'a fallu plusieurs mois pour en venir à bout, l'abandonnant, le reprenant, revenant en arrière à plusieurs reprises, chose très inhabituelle pour moi. Mais je trouve que cela en valait largement la peine. C'est, comme le dit Bolcho, un ouvrage de référence, d'une grande pertinence au regard de l'actualité et qui mérite bien un nouveau coup de projecteur et une critique-éclair. Dont acte.

Fee carabine - - 49 ans - 14 juillet 2004