Georges Brassens libertaire : La chanterelle et le bourdon
de Marc Wilmet

critiqué par Le rat des champs, le 12 juillet 2012
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Comprendre Brassens
Georges Brassens est devenu une légende de son vivant, son génie de chanteur, poète, musicien, sont universellement reconnus. Le Petit Larousse nous dit qu'il était un auteur de chansons poétiques, pleines de verve et de non-conformisme. Il convient de rappeler qu'à l'origine les poèmes étaient chantés et que l’œuvre de Brassens s'inscrit dans la tradition de son art.

Marc Wilmet qui est professeur de linguistique à l'Université Libre de Bruxelles et enseigne dans de nombreuses universités étrangères, nous livre ici une lecture thématique des chansons de l'artiste. Il nous offre des clefs pour comprendre plus profondément l’œuvre de ce poète génial à la lumière de son passé libertaire. Il faut savoir qu'avant de faire la carrière que tout le monde connait, Brassens fut journaliste pour le journal libertaire, sous des pseudonymes varies comme Géo Cédille ou Gilles Collin. En 1946, il adhérait à la "Fédération anarchiste" et participait au lancement avorté du journal "le Cri des gueux".

Plus tard, devenu célèbre, il refusa de cracher dans la soupe mais n'abdiqua jamais de ses idées libertaires, qu'il exprima de façon plus lisse et nuancée, sans toutefois qu'elles perdissent de leur force. Cet aspect de la personnalité de Georges Brassens est particulièrement important pour comprendre ses textes.

Une partie de cet ouvrage est consacrée à des textes de Brassens publiés sous le pseudonyme de Géo Cédille dans les années quarante, qui sont passionnants à plus d'un titre, parce qu'on y retrouve les thèmes qui marqueront son œuvre ultérieure, comme la révolte contre ceux qui prêchent la guerre mais restent bien à l'abri, sa compassion pour les gueux, les pauvres, les dominés, sa détestation des valets du pouvoir qu'il s'agisse de prêtres, de militaires ou de gendarmes.

Certains textes de Géo Cédille peuvent étonner, voire même paraître outranciers, tels ceux où il traite Maurice Schumann, considéré actuellement comme un des pères fondateurs de l'Europe, "d'indécrottable pouilleux dont la vue seule éloignerait les plus sordides porcs du monde", de "créature fétide", de "fumiste" parce qu'au micro de Radio Londres, bien à l'abri, il exhortait les Français au sacrifice de leur vie pour lutter contre le nazisme. On retrouvera d'ailleurs ce thème, bien qu'édulcoré, dans plusieurs de ses chansons, comme "Mourir pour des idées" ou "Les deux oncles". On peut ne pas être d'accord, estimer que le sacrifice plus ou moins volontaire de nombreuses personnes, affublées par la suite du titre de héros a permis de sauver la civilisation et de nous débarrasser du nazisme, il faut reconnaître au jeune Brassens une grande cohérence de la pensée.

Le meurtre de civils, quelle qu'en soit la raison, lui parait la plus grande des ignominies, et son indignation est sans limite devant l'usage de l'arme atomique: "L'on savait par cœur que les militaires de carrière étaient à couteaux tirés avec l'intelligence la plus élémentaire. L'on ne savait pas moins qu'ils ne laissaient jamais échapper l'occasion de lui faire son affaire de la manière la plus inhumaine, la plus sauvage. C'est une vieille tradition dans cette corporation d’assassins patentés et considérés..."

Le passé d'un homme, d'un artiste, est extrêmement important pour comprendre sa vie et son œuvre, et en cela particulièrement, ce livre de Marc Wilmet contribue à nous faire mieux comprendre la profonde richesse du grand Georges. Sa lecture est donc indispensable pour tous les passionnés (et ils sont légion) de l’œuvre de Brassens.