Document 1 de François Blais

Document 1 de François Blais

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 20 mai 2012 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 6 étoiles
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Voyage chez les Amish

Un soir, Tess et Jude se bidonnent en consultant Google Earth afin de se familiariser avec les noms des villes américaines. En passant de Finger à Meat Camp, ils vont de surprise en surprise pour finalement s’arrêter sur Bird-in-Hand en Pennsylvanie. L’agglomération fut désignée ainsi à cause du nom d’une auberge sise en territoire amish. Ce voyage virtuel déclenche chez les héros le désir irrépressible de se rendre dans ce village situé à 1000 kilomètres de Grand’Mère, où ils habitent. C’est toute une ride (long voyage) pour des sans-le-sou.

Comment s’y prennent-ils pour réunir la somme nécessaire afin de réaliser ce projet ambitieux quand on est des adeptes de la fainéantise ? Il leur faut au moins 15,000 $ (12,000 €) pour passer un mois à Bird-in-Hand. Un éclair de génie les porte à croire qu’ils peuvent écrire un livre pour combler leur besoin pécuniaire. D’abord, ils demandent la subvention gouvernementale de 12,000 $ à laquelle tout écrivain a droit. Le montant perçu, ils achètent un bazou (tacot). Il faut bien se rendre à destination.

Or, le lecteur parcourt justement ce fameux bouquin qu’ils rédigent, bouquin rendu possible grâce, avant tout, à un voisin, dont la générosité découle des beaux yeux de Tess. Comme la flamme le brûle, il passe outre au fait qu’elle soit laitte comme un pichou (très laide). La dulcinée le sait d’ailleurs, mais son aspect anguleux fait des ravages au milieu des poètes, qui se font les porte-voix des sans voie.

Le roman raconte les préparatifs du voyage que les héros consignent dans un document de leur ordi. Comme ils n’ont pas pensé à un titre, Internet s’est chargé de le reconnaître sous le nom de Document 1. On y raconte en particulier l’achat de la voiture, l’achat de vêtements à Trois-Rivières, capitale de leur région. Et comme la vie ne suspend pas son vol pour autant, ils récupèrent un chien errant mal en point. Ce dernier menace drôlement leur pécule en se faisant frapper par un camion. Mille dollars pour la ramancher (guérir de ses fractures). En fait, ils n’avaient pas remarqué l’absence de gonades. À cause des aléas s’accumulant vont-ils partir un jour ?

La trame est très originale, et l’étude des personnages ne fait pas faux bond à ce qui la soutient. François Blais a beaucoup de talent pour lancer ses héros dans une aventure faramineuse pour eux. Ce sont des désargentés par choix. Tess se contente d’un emploi minable dans un fast food. Jude est un bs (un assisté social), un flanc mou qui passe ses journées devant son ordi à s’amuser avec des jeux électroniques. Il caresse le rêve de ne rien faire dans la vie. Projet ambitieux quand on pense que tout pousse à connaître son quart d’heure de gloire comme l’exige Andy Warhol. Le tandem est heureux dans cet univers de simplicité volontaire. Ils s’emmurent béatement pour limiter toute velléité d’action, hormis les longues marches dans leur patelin, dont le nom est emprunté à un rocher, qui pourrait représenter une grand’mère. Visiter Grand’Mère relève de l’ambiguïté. Toponymie aussi curieuse qu’aux États-Unis. Et les touristes québécois ne sont pas en reste quand ils suivent le fleuve avant d’atteindre Les Boules (seins), un autre village qui fait sourire. La Trimouille, Châtain, Angles, Verrières dans le département de la Vienne ne sont pas piqués des vers non plus.

Ces plaisanteries inspirées d’un chapitre du roman laissent voir sa forme. L’auteur survole les moteurs de recherche pour s’alimenter. Derrière les informations colligées se dessine un portrait, qui laisse deviner une société qui s’abandonne à son train-train quotidien. Qui, vraiment, aime se faire bousculer par des interrogations existentielles ou par des projets exigeant en implication personnelle ? Contrairement à Réjean Ducharme, qui confine ses personnages misanthropes à l’isolement pour ne pas pactiser avec les valeurs consensuelles (Hiver de force, Gros Mots), François Blais isole des bienheureux, qui se retiennent de succomber à la tentation de participer à la course effrénée aux ersatz du bonheur.

Au-delà du contenu, c’est le contenant qui frappe. Il s’agit d’un roman d’une modernité qui laisse présager de ce qui advient de la littérature québécoise. Comme Éric Plamondon, François Blais a saisi les tenants qui dynamisent l’écriture. Une écriture dépouillée d’ornements, mais qui se concentre sur un sujet présenté à la lumière de l’orbite gravitant autour des personnages. On est loin du repli narcissique des auteurs écorchés pour s’être gratté l’échec amoureux jusqu’au sang.

Bref, ce n’est pas le roman du siècle. Mais le ton lui confère un air qui évite la crispation que provoque la constipation des auteurs porteurs de spleen.

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