Ces OGM qui changent le monde
de Gilles-Éric Séralini

critiqué par Eric Eliès, le 23 avril 2012
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Une dénonciation, très argumentée, des dangers générés par l'industrie des OGM
L’auteur de ce livre, très bien argumenté et politiquement neutre, maîtrise parfaitement les arcanes scientifiques et législatives de la problématique des OGM. Le livre, écrit dans un langage clair mais qui n’élude pas les difficultés du dossier, se lit aisément, à part les deux premières parties, relatives au fonctionnement de la cellule et aux méthodes de l’ingénierie génétique, qui exigent un petit bagage scientifique (niveau bac) mais ne sont pas indispensables pour lire les conclusions de l’auteur.

Le livre dénonce sans ambiguïté et, ce qui est très appréciable, explique également les dangers de la commercialisation des OGM, essentiellement dus à la dérive mercantile de la recherche appliquée et aux stratégies industrielles des grands groupes. En fait, la production d’OGM vise essentiellement à fabriquer des plantes capables de tolérer un herbicide spécifique (afin de simplifier le travail des agriculteurs qui peuvent épandre ce produit sans danger pour leur culture) ou des plantes capables de générer elles-mêmes un pesticide contre un insecte spécifique. Cette orientation est due au fait que les principaux producteurs d’OGM sont aussi les principaux producteurs d’herbicide, pesticide et fongicide… Outre la banalisation de substances toxiques dont les effets à long terme ne sont pas connus, la culture de plantes OGM tend à accroître la résistance des insectes nuisibles et des plantes adventices (de la même façon que les bactéries développent une résistance aux antibiotiques) et provoque donc une augmentation massive de l’emploi de ces produits nocifs pour l’environnement et la santé, sans gain évident pour les agriculteurs. Les seuls gagnants sont les groupes industriels !
La recherche dans les autres domaines est très faible (du moins à l’époque de la rédaction de ce livre, qui date de 2004 – je ne sais pas si la situation a évolué depuis) et sert à promouvoir la communication sur les OGM.

L’autre grand danger que font courir les OGM est plus subtil. La technique de manipulation génétique peut provoquer des effets mutagènes dans la cellule cible car l’ADN peut se recombiner de manière aléatoire, en fonction de l’environnement de la cellule et de l’endroit exact (que la technique ne permet pas de contrôler) où le transgène (qui contient le gène ou les gènes d’intérêt capté(s) dans d’autres organismes (essentiellement des bactéries)), est introduit dans la cellule. En effet, l’expression d’un gène n’est pas univoque : il peut s’exprimer de différentes façons et interagit, comme dans un réseau, avec les autres séquences génétiques présentes dans la cellule. Les mécanismes de la mutagenèse sont encore mal connus et ses effets (toxiques, allergènes, etc.) ne sont pas bien pris en compte dans les protocoles de vérification avant mise sur le marché.
En outre, comme la fabrication de l’OGM s’effectue par étapes successives, les généticiens introduisent dans le transgène des traceurs, qui sont en général des gènes de résistance à un antibiotique ou de tolérance à un herbicide qui permettent d’éliminer simplement, au fur et à mesure du processus, les cellules dans lesquelles l’introduction du transgène a échoué. Ces traceurs génèrent des effets induits, qui ne sont également pas pris en compte dans le cadre de l’étude de validation avant commercialisation.

Malgré ces dangers, des plantes OGM (maïs, soja, colza, coton) sont cultivées dans le monde, principalement aux USA, au Canada et en Argentine, et commercialisées. Pourquoi ? Séralini explique qu’il existe en fait deux théories qui s’opposent :
* celle défendue par les Européens (qui est de plus en plus communément admise), qui considèrent que les substances issues d’OGM doivent faire l’objet de contrôles spécifiques avant commercialisation puis d’une traçabilité spécifique. Pour l’auteur, ces contrôles sont aujourd’hui très insuffisants, voire biaisés, en raison de la collusion d’intérêts entre l’industrie et les organismes de contrôle, qui emploient la même communauté de chercheurs. Séralini promeut donc une véritable expertise indépendante et loue, en des termes très élogieux, l’action de Corinne Lepage quand elle était ministre de l’environnement pour contrer le lobby industriel et obtenir un moratoire.
* celle défendue par les Américains, qui considèrent qu’un gène n’est qu’une séquence codante, que la manipulation génétique n’est pas fondamentalement différente de l’hybridation et qu’il n’y a donc pas lieu de mettre en place une législation particulière sur le contrôle et la traçabilité des plantes OGM, qui sont considérées comme des plantes. Au contraire, les USA considèrent la législation européenne comme discriminatoire et ont déposé des plaintes auprès de l’OMC. Seuls certains produits dérivés d’OGM (par exemple des vaccins OGM produits par une plante à partir d’un gène porcin) ont fait l’objet de contrôles spécifiques et de sanctions prononcées par l’administration US contre des industriels coupables d’avoir contaminé des champs et dispersé leurs gènes.

Ce livre est très intéressant car il est factuel, politiquement neutre (même s’il tresse des lauriers à Corinne Lepage et n’évoque quasiment pas la Confédération paysanne de José Bové) et ne diabolise ni les OGM ni la recherche… Néanmoins, pour l’auteur, la situation est grave car les industriels fabricants d’OGM introduisent actuellement dans l’environnement et dans la chaîne alimentaire des substances dont les effets ne sont pas connus. Il faut donc davantage de transparence sur les résultats des études et davantage d’indépendance transdisciplinaire pour les experts chargés de statuer sur la dangerosité des OGM. Dans l’attente, il faut impérativement encadrer les cultures de plein champ, qui peuvent contaminer d’autres cultures malgré les dispositifs type « terminator » qui sont des transgènes provoquant la stérilité de la plante. Heureusement, la réaction méfiante du grand public, en Europe mais aussi aux USA, a freiné l’ardeur des industriels car la rentabilité des investissements n’est pas assurée…
Au-delà de ces questions qui appellent des réponses immédiates, l’auteur s’interroge aussi sur des enjeux fondamentaux : celui des brevets sur les gènes du vivant, qui permettent aux industriels de capturer le marché des semences et sont le vrai moteur de l’essor des OGM, et celui du modèle d’agriculture pour la société future, qui s’aligne dangereusement sur l’industrie au détriment des autres formes d’agriculture (biologique, etc.) pourtant plus efficaces et durables.