Sur l'amour et la mort
de Patrick Süskind

critiqué par Eric Eliès, le 23 avril 2012
( - 49 ans)


La note:  étoiles
l'Amour a chuté de son piedéstal, détrôné par la Mort
Ce court essai de Süskind n’a ni la densité ni la profondeur du célèbre livre de Denis de Rougemont « L’amour et l’occident », qui portait sur le même thème. Il se lit néanmoins avec plaisir grâce à la verve de l’auteur, souvent drôle et provocante, et à sa culture, notamment relative au romantisme allemand (Novalis, Kleist, etc.).
En fait, on a l’impression que Süskind a eu peur d’effaroucher son lectorat par un ouvrage trop sérieux et aride. Il multiplie les exemples triviaux et évoque, en termes familiers et parfois parodiques, les thèmes philosophiques et religieux (je pense par exemple à sa description férocement comique de la résurrection de Lazare par Jésus) qui servent à la démonstration de sa thèse, iconoclaste mais aussi un peu simpliste. Celle-ci est en effet très simple : alors que l'Amour est censé élever l’esprit, il n’est le plus souvent qu’un magma de vulgarité et d'abêtissement car il a été corrompu par la fascination de la Mort introduite par le christianisme.

Süskind commence par des exemples représentatifs de la médiocrité de l'époque. Il décrit tout d'abord un couple de jeunes en voiture dans un embouteillage, qui se léchouillent et se tripotent pour choquer le bourgeois, puis un couple de vieux musiciens énamourés et enfermés, presque comme des autistes, dans une bulle sirupeuse de sentiments grandiloquents. Süskind évoque enfin un grand écrivain, qu'il ne nomme pas, qui nourrit son inspiration dans l'amour, impossible à assouvir, qu'il éprouve pour un garçon d’hôtel et dans les souffrances de la frustration.
Pour Süskind , le sentiment moderne de l’Amour a perdu la noblesse et la beauté de l’idéal grec car il a été dénaturé par le christianisme qui a introduit la Mort dans la sphère de l’Amour. Süskind dénonce, en des termes très durs et très drôles à la fois, l’action néfaste de Jésus, qu’il présente comme un froid calculateur avide de pouvoir et non comme un héraut de l’Amour. Les conséquences sont terribles pour l’Occident, qui s’est mis à éprouver de l’amour pour la Mort. Wagner (dans son adaptation de Tristan), Novalis et, surtout, Kleist, qui toute sa vie chercha une femme avec qui il pourrait se suicider par amour (et finalement y parvint), incarnent avec sublime les figures tutélaires de l’amour de la Mort, qui glaça d’effroi Goethe car il éprouvait lui-même cette fascination qu’il cherchait à combattre…

Pour Süskind , c’est Orphée (qu'il oppose à Jésus) qui représente le vrai Amour, qui veut jouir de la vie et s’oppose à la mort sans avoir la prétention de la nier. Sa longue description de la descente d’Orphée aux Enfers, pour obtenir des Dieux de l’Hadès l’autorisation de ramener Eurydice à la vie, est émouvante car elle insiste sur la modestie de l’homme Orphée et sur son orgueil d’artiste, qui va provoquer son échec.