Essai sur l'origine des langues de Jean-Jacques Rousseau

Essai sur l'origine des langues de Jean-Jacques Rousseau

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Montréalaise, le 3 mars 2012 (Inscrite le 7 août 2010, 30 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 336ème position).
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Rousseau linguiste?

Cet « Essai sur l'origine des langues » fut resté longtemps à l'ombre des autres oeuvres du philosophe Jean-Jacques Rousseau tels que le « Discours sur les inégalités » ou le « Contrat social ». Inachevé, il fut publié à titre posthume en 1781 et la Révolution française va contribuer à le faire oublier jusqu'au milieu du XIXe siècle, quand la discipline de la linguistique fera son apparition.

Dans cet « Essai », Rousseau se penche sur un sujet particulièrement intéressant qui, en un certain sens, complète presque ses autres « Discours » : le langage humain. Avec son habituel regard d'anthropologue et d'homme sensible se fiant à son instinct (expression tout aussi paradoxale que le philosophe lui-même), il écrira dans le premier chapitre ce résumé condensé de son oeuvre :

« La parole distingue l'homme entre les animaux; le langage distingue les nations entre elles (...) la parole étant la première institution sociale ne doit sa forme qu'à des causes naturelles. Sitôt qu'un homme fut reconnu par un autre pour un Être sentant, pensant et semblable à lui, le désir ou le besoin de lui communiquer ses sentiments et ses pensées lui en fit chercher les moyens. Ces moyens ne peuvent se tirer que des sens, les seuls instruments par lesquels un homme puisse agir sur un autre. Voilà donc l'institution des signes sensibles pour exprimer la pensée. Les inventeurs du langage ne firent pas ce raisonnement, mais l'instinct leur en suggéra la conséquence ».

Le langage se divise en deux genres d'expression : le toucher ou le geste, répondant aux besoins physiques, et la voix, qui nous permet d'exprimer nos sentiments et nos passions grâce à nos prédispositions naturelles mais surtout à notre perfectibilité. Contrairement aux animaux, le langage humain n'est pas inné mais acquise. C'est sur ce dernier que Rousseau concentrera sa réflexion.

Autrefois, les hommes, vivant en minuscules bandes familiales éloignées les unes des autres, ne s'exprimaient que par gestes ou sons inarticulés puisqu'ils ne recherchaient que des besoins physiques. Mais à cause d'accidents provenant de son environnement (comme les catastrophes naturelles, les saisons hostiles et l'apparition du feu), ils n'eurent le choix de se rassembler et de s'entraider pour survivre, se concentrant notamment dans les régions fertiles ou, sinon, construisant des puits et des canaux. De cet esprit de communauté, à mesure que la population augmentait, que l'agriculture s'étendit et qu'ainsi la sédentarisation progressa, apparut la langue relative à cette collectivité.

Une langue particulière est déterminée par son environnement. Dans les pays chauds et fertiles où les premières langues apparurent, les besoins comblés ont fait naître des langues plus passionnées, métaphoriques, poétiques, mettant l'accent sur les voyelles et inflexions et faites pour le chant, tandis qu'au Nord, la rudesse du climat a produit des langues plus sourdes, monotones, claires, axées sur les besoins et plus tard sur la raison, mettant l'accent sur les consonnes et faites pour l'écriture.

Cette dernière, par contre, fut crée par des peuples commerçants qui, parlant plusieurs langues, durent trouver un système de codes communs, facile à la compréhension. C'est ainsi que le premier alphabet, celui des Phéniciens, fut importée en Grèce et modifiée au gré des siècles et déplacements jusqu'à donner notre alphabet latin.

Rousseau continue son raisonnement en mettant la langue en parallèle avec un art qui lui est lié : la musique. Celle-ci naquit en même temps que les premières langues puisqu'elles étaient chantantes et passionnées. Autrefois, dire et chanter furent la même chose et la « mélodie » donne aux sons des émotions aux humains. Mais avec le temps et les circonstances, en fixant des conventions et en « rationalisant » la mélodie, « l'harmonie » (propre au classicisme du régime Ancien que Rousseau le romantique exécrait) vient dénaturer la musique et créer des tensions entre chant et parole.

La langue grecque, autrefois si chantante, se dégénère progressivement par l'apparition de la philosophie et du raisonnement, l'arrivée des Romains et de leur latin monotone mais surtout de celle des barbares gothiques du Nord qui vient enlever à la langue son art et sa science et la bourrer de consonnes dures et de théories musicales fades.

Rousseau conclut que les changements des langues ainsi que les différences entre elles génèrent l'incompréhension, les préjugés et les conflits entre les peuples. L'invention de l'écriture et le perfectionnement de la langue, loin de la rendre libre, la rendent prisonnière tout comme la société dont elle est le reflet. Mais là s'arrête son essai dont nous ne saurons la fin.

Interprétation incroyablement moderne des relations entre la langue, la musique et la société, critique dure envers la société dite « civilisée », cette oeuvre de Rousseau est fortement recommandée à qui veulent s'y intéresser.

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L'origine des langues selon un philosophe du siècle des Lumières

8 étoiles

Critique de Elya (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans) - 13 octobre 2013

Comme il l’apparaît à la lecture de la critique de Montréalaise, les langues sont ici un prétexte pour Rousseau ; il nous parle finalement des choses qui lui tiennent à coeur dans toute son oeuvre : différences entre les peuples, musique, moeurs des hommes, organisation de la société. Il relate à nouveau le danger pour les peuples d'accéder à trop d'art et de science : « Dans les climats méridionaux où la nature est prodigue, les besoins naissent des passions ; dans les pays froids où elle est avare, les passions naissent des besoins, et les langues, tristes filles de la nécessité, se sentent de leur dure origine. »

La linguistique est sans doute une science qui a beaucoup évolué depuis le XVIII ème. Aussi, je pense qu'il faut se référer à des auteurs plus récents si l'on cherche à dégager les savoirs actuels concernant l'origine des langues. Par contre, si l'on s'intéresse à Rousseau ou à la philosophie du siècle des Lumières, on devrait être plus satisfait.

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