Nos histoires de France de Daniel Picouly

Nos histoires de France de Daniel Picouly

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Jlc, le 29 février 2012 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 337ème position).
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Du bonheur d'être un cancre

« Les cancres sont des alchimistes à l’envers. Ils transforment l’or en perles ». Daniel Picouly a eu le bonheur d’avoir pour instituteur Monsieur Brulé qui mettait facilement au piquet les cancres et les indisciplinés. Ce maître d’école d’un autre âge envoyait souvent en punition le petit Daniel dans le cabinet d’histoire sans bien percevoir le bonheur qu’il lui offrait en lui permettant ainsi de rêver devant les planches éducatives qu’on suspendait au mur pour illustrer la leçon du jour. C’est à cet homme qui disait à ses élèves « plus vous aurez de mots, plus le monde sera grand » qu’il veut rendre hommage par ce beau livre richement illustré.

C’est avec ce souvenir en tête que Daniel Picouly a écrit ce joli texte sur son enfance, au sein d’une famille nombreuse et heureuse où chacun avait son idée sur l’histoire ce qui la rendait d’autant plus vivante. Ces pages sont agrémentées de ces fameuses cartes que celles et ceux qui ont eu dix ans dans les années cinquante reconnaîtront avec bonheur et peut-être aussi un peu de nostalgie. Ces cartes ici reproduites sont authentiques et proviennent de plusieurs collections, y compris deux belges qui étaient déjà bilingues.

Le ton est gouailleur comme on l’était alors dans les cours de récréation de banlieue, avec des jeux de mots de potache plus ou moins approximatifs mais souvent drôles. Ainsi de « Napo, pipo ; Arcole, des fariboles », « la gauloise bien roulée » qui désigne au choix la cigarette ou la fille de « nos ancêtres les gaulois » sur la carte du jour, sans oublier : « Cinq-Mars a eu de la chance, ses parents auraient pu l’appeler 1er avril ». Gouailleur, potache, populaire mais vrai comme lorsque sa mère, visitant les châteaux de la Loire, a cette remarque de bon sens : « C’est bien tous ces châteaux mais ça doit pas être facile à chauffer ».

L’écrivain n’est jamais loin pour qui en histoire il n’y a pas que des héros mais aussi des mots dont le mystère du sens excite l’imagination, donnant ainsi raison à Anatole France qui disait que « l’histoire n’est pas une science mais un art. On n’y réussit que par l’imagination ».

Cette façon d’enseigner l’histoire qui remonte à la troisième république est exempte de tout regard critique mais c’est ce qui a continué à forger l’esprit de la nation républicaine. En lisant et regardant ce beau livre, on sent bien que nous sommes à la fin d’une époque et qu’il va falloir cesser de refuser de reconnaître une réalité certes traumatisante mais inéluctable. C’est ainsi que l’on passera des « événements en Algérie » à la « guerre d’Algérie » avec ce que ce changement sémantique apporte de douleurs qu’on ne peut plus, qu’on ne doit plus cacher.

Ce livre aurait pu exploiter la sensiblerie désuète du « c’était mieux avant » et sombrer dans la mièvrerie. Il n’en est rien et si on y trouve une certaine nostalgie, c’est celle, tendre et chaleureuse, d’un morceau d’enfance évanouie. Une enfance que des générations de Monsieur Brulé ont su transformer en citoyens.

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Toiles de maîtres

8 étoiles

Critique de Numanuma (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 50 ans) - 20 octobre 2015

Ça commence avec une punition qui n’existe plus : « Au piquet ! » Le narrateur est puni et content de l’être car il a hérité du grand piquet, soit l’enfermement dans le cabinet d’histoire, ce réduit qui renferme les précieuses cartes murales qui ornent d’ordinaire les salles de classe. Des toiles estampillées Armand Colin ou Librairie Hatier qui fleurent bon la IIIème République et nos ancêtres les Gaulois.
Il me semble que j’en ai vu pendant ma scolarité. Je ne suis pas sûr que l’on en trouve encore dans nos écoles de ces toiles pendues aux murs de la classe, mouchetées des coups de baguettes du maître d’école.
Il me semble que ces mots, « maître d’écoles » ou « instituteur » et « cartes murales » sont liés. J’imagine bien le père de Pagnol, qui était instituteur, républicain, bouffeur de curé et fier de l’être, expliquer à ses élèves avachis par le soleil de Provence l’avènement de la République par l’intermédiaire de ces images parfois simplifiées à l’extrême.
Plutôt que de recourir à un assemblage hétéroclite, ce livre propose une narration par la voix de Daniel Picouly enfant, puni donc, qui se retrouve à faire défiler les toiles de l’histoire de France. Une France certes fantasmée depuis le XIXème siècle, époque à laquelle apparaît l’idée du « roman national », notamment dans les œuvres de Lavisse ou Michelet dans lesquelles la France est l’héroïne. Il en est de même du célèbre Tour de France par deux enfants (critiqué ici : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/29989), bouquin qui garde un charme désuet.
« Il s’agit de vanter la grandeur de la France. Le roman national est une œuvre patriotique et mystique, dans laquelle les événements historiques s’enchaînent logiquement, grâce à l’action de « grands hommes » visionnaires, pour produire l’Etat-nation moderne : chrétienté, unification autour du roi, révolution, progrès industriel, République... »
L’idée a été reprise dans les années 90 par Pierre Nora avec un sens nouveau, « qui s’emploie à déconstruire le récit unitaire par une approche mémorielle, centrée sur des objets très divers. » Beaucoup d’historiens préfèrent parler de « récit national », le terme de « roman » renvoyant à la fois à « romanesque » et « romantique », deux notions peu compatibles avec le besoin d’objectivité du travail d’historien.
Le livre commence évidemment par la Gaule. Ça tombe bien, la France du XIXème a entrepris, par l’intermédiaire d’auteurs comme Henri Martin (c’est une rue au Monopoly, non ?) qui proposent d’écrire une histoire de France commençant au temps de Gaulois. Il s’agit alors d’identifier un grand ancêtre, personnifié par Vercingétorix, le vaincu magnifique. Or, les Gaulois ont un territoire délimité par le Rhin et un ennemi idéal, les Germains. Ainsi peut-on lire dans le petit Lavisse : « Il y a deux mille ans, notre pays s’appelait la Gaule (…) Les Gaulois étaient des barbares mais ils étaient braves, intelligents et gais ». Il n’y manque qu’un petit Gaulois accompagné d’un autre qui n’est pas gros et d’un chien…
Certes, le propos du livre n’est pas de faire la critique du roman national ni de poser les bases d’une réflexion sur l’enseignement de l’histoire au long de la scolarité. Non, c’est simplement un voyage dans le temps accompagnant un récit charmant de Daniel Picouly. La quantité de toiles est impressionnante et je dois avouer avoir un faible pour celles représentant diverses vignettes plutôt que de grandes scènes.
Cependant, cet album mettant en avant un outil pédagogique utilisé pendant très longtemps sur un fondement qui fait débat, le roman national donc, on peut en profiter pour s’interroger, comme le faisait le magazine L’Histoire en 2009 dans un hors-série sur l’histoire de France, sur le bien-fondé de l’enseignement de l’histoire en primaire ou sur la pertinence dudit roman national dont l’objectif originel est bien éloigné des enjeux modernes. Comme indiqué plus haut, ce roman a été mis en place dans un contexte particulier, celui de l’opposition à l’Allemagne. Or, de nos jours, la collaboration franco-allemande et la construction européenne sont en opposition avec le référent historique du roman national. J’ajoute, comme le fait le magazine, pages 86, que « le maintien d’un légendaire national contredit l’objectif assigné à l’historien d’apprentissage de l’esprit critique. »

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