Eclats d'enfance toulonnaise (1936-1952)
de Marcel Migozzi

critiqué par Eric Eliès, le 21 février 2012
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Résurrection de l'enfance dans Toulon disparu
Marcel Migozzi est un poète prolifique, auteur d'une cinquantaine de recueils qui, souvent, se nourrissent de la beauté simple des instants vécus et puisent leur force dans la vigueur du souvenir. Ces "éclats d'enfance toulonnaise" sont, en quelque sorte, l'explicitation du substrat et des fondations de recueils (mêlant vers et prose poétique) tels que "On aura vécu" et "Autrefois, la patrie" (qui a d'ailleurs le même incipit que "Eclats d'enfance toulonnaise")
Le livre est écrit à la 1ère personne, avec une subjectivité assumée mais transcendée par la perspective temporelle de l'homme âgé (Marcel Migozzi est né en 1936) qui se souvient et se retourne sur une vie vécue. Il ne s'agit donc pas d'une description de Toulon mais bien d'un témoignage, fait d'images anciennes et de miettes de passé ressuscitées par le verbe.
Au-delà de l'évocation d'une jeunesse toulonnaise, avec une minutie et une précision dans le détail des noms de lieux et de personnes qui pourraient rendre sa lecture difficile pour qui n'aurait jamais eu la chance de vivre à Toulon (ville s'étirant, comme fondue par le soleil, sur une mince bande côtière entre la rade et la haute colline du Faron), le livre vaut surtout pour sa capacité d'invocation du temps passé, qui ressuscite et se superpose à l'instant présent, comme si rien n'avait été perdu de l'école primaire, des jeux solitaires ou en bandes dans la rue, des fêtes de quartier, des épreuves et des privations de la guerre, de la maison familiale dans un quartier ouvrier (avec la fierté d'appartenir à ce monde !). Pourtant, et l'auteur ne cesse de le constater partout où il va, les lieux de l'enfance se sont transformés avec la ville : ils ont disparu (école rasée pour faire place au centre commercial Mayol) ou sont devenus méconnaissables. Néanmoins, on sent bien qu'ils existent encore dans l'épaisseur des mots de l'auteur qui se livre, sans afféterie ni mensonge, à une sorte de recherche du temps perdu pour inscrire, à jamais en lui, le témoignage d'une vie dont la valeur fut tout d'abord d'être vécue. Et tout est transfiguré par le souvenir, qui met partout de la beauté... Marcel Mogozzi évoque ainsi Toulon après 1945 : "Inoubliable Toulon d'après-guerre avec ses immeubles que les bombes escarpaient, ces fleurs qu'on voyait de loin sur les tapisseries des murs éventrés perpendiculairement aux nuages, fleurs révélées soudain à des étrangers, exposées à la poussière des rues".
La prose s'élève alors parfois jusqu'au poème, notamment dans sa conclusion, que je vous recopie (partiellement) ici :
" Est-il encore utile, aujourd'hui, dans ces lignes, de vouloir respirer l'enfance ?
Comment respirer sans rivière, entre des immeubles neufs construits pour tellement de clefs ?
Tout n'est-il pas suspect puisque vide d'enfants ?

Je sais pourtant que tout sera,
Choses, visages, rues, rivière,
Maison de pauvre, école, jeux,
Tout ce passé vivant sera
Tout à la fin dans mon cercueil "