Le journal d'Hadrien et Camomille : 1300 km à travers la France
de Hadrien Rabouin

critiqué par Cyclo, le 16 février 2012
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
éloge de la lenteur voyageuse
C'est le récit de son voyage, du Maine-et-Loire d'où il est originaire, jusqu'en Dordogne et retour, voyage effectué à pied, en compagnie d'une vache, Camomille. En effet, depuis trois ans, il avait ce projet de partir. « Passe ton bac d'abord », rétorquent ses parents, agriculteurs biologiques. OK. Il obtient son bac en juin 2008, à dix-sept ans et demi. Il a déjà commencé à dresser Camomille. Son objectif est de faire une balade à la manière des compagnons du tour de France : marcher pour aller à la rencontre des artisans (ainsi il apprend les bases du métier de potier, il apprend à forger pendant sa randonnée, il s'enquiert des façons de restaurer par soi-même une maison…), des gens tout simplement pour en éprouver le sens de la solidarité (mise à rude épreuve en Charente par exemple, notamment dans le Cognaçais), et aussi, parce qu'il s'intéresse à la botanique, un désir de collecter des noms de plantes, parce qu'il aime manger ce qu'il trouve sur sa route (et que les noms en varient selon les régions). C'est aussi pour lui un voyage initiatique : marcher lui permet d'apprendre à aller au bout de lui-même (pluie, froid, ampoules, démangeaisons, et manque d'hygiène sont au programme, car il ne peut pas se laver tous les jours, couchant souvent sous sa tente rapidement humide, et dans un duvet mouillé aussi) et de se connaître. Et puis, il voyage en compagnie : il faut reconnaître que Camomille est un animal de bât plutôt inhabituel (en général, on utilise plutôt des ânes ou des mulets), mais le lien qui se noue avec elle est très fort. Hadrien se sait aussi très jeune ; quand il part, le 1er août 2008, il n'a que dix-sept ans, est donc mineur, et il sait qu'il est plutôt à la rencontre des hommes : "On me demande de parler, de livrer mes secrets. Mais moi, je ne suis rien. […] À ceux qui m’interrogent, je réponds volontiers : « Ce n’est pas à moi de parler mais à vous. Mon rôle est d’écouter". Dès ce premier voyage, il montre ses choix de vie : recherche de la rencontre, modestie et simplicité des besoins, réflexion sur nos rapports avec la nature. Ce n'est pas un journal intime, l'important est d'avancer, de trouver un endroit pour passer la nuit (en plein air, dans des granges ou des hangars, dans des salles de fêtes que lui proposent des maires généreux, ou chez l'habitant, fermes et artisans) sans oublier Camomille qui a besoin d'un pré. Elle n'a pas des sabots lui permettant naturellement de faire un aussi long voyage, il faut lui mettre des talonnettes ou de l'huile sous les pieds, elle n'apprécie pas le goudron, parfois n'en fait qu'à sa tête, disparaît ainsi une nuit pour se mêler à un troupeau de vaches en Dordogne.

Partir et méditer. Avec 20 euros et un sac de riz en poche, 37 kg de matériel sur le bât, la guitare sur le dos (et ce sera une source de joie quand il pourra en jouer, mais aussi de douleurs, à cause de la pluie notamment), Hadrien (j'aime qu'il ait le nom d'un des meilleurs empereurs romains) est parti pour un éloge de la lenteur de quatre mois et 1300 kilomètres sur les routes de France. Il est souvent attendu par les correspondants des journaux et des radios locaux, les équipes de télévision locales ou nationales, ce qui n'est pas sans l'irriter ("Je ne suis pas un acteur", est-il obligé de dire à ceux qui veulent lui faire prendre des poses quand ils filment) ou par de simples particuliers, qui ont entendu parler de son périple. Il observe l'évolution du monde agricole : ainsi, il croise un agriculteur dans un tracteur climatisé flambant neuf, qui "arborait une chemise à carreaux, impeccablement reprisée. Qui sait, peut-être qu'un jour les paysans iront travailler en costume-cravate". On lui offre à manger, de l'argent parfois (qu'il tente, souvent en vain, de refuser, car il a établi son budget, obtenu une bourse d'une Fondation qui aide des jeunes dans leurs projets), une chaleur pour sécher ses vêtements ou prendre une douche, des livres (il lit beaucoup quand il s'arrête). Des amitiés se nouent, le chanteur-compositeur Jean-Paul Orcel écrit une chanson sur lui dont le refrain est "Il marche". On sent chez ce très jeune homme un désir d'aventure, de disponibilité, d'approfondissement de soi sur son temps libre où il s'initie à diverses techniques, creuse ses connaissances en botanique, en philosophie, en poésie (le récit est parsemé de petits poèmes bienvenus), en musique et en géographie, par le biais des cartes : il lui arrive de pester contre les cartes de l'IGN jamais à jour. Hadrien nous offre l'image d'un formidable être humain, rare, curieux ; désireux d'apprendre et de connaître. Une leçon de vie.