Guérilleros
de Vidiadhar Surajprasad Naipaul

critiqué par Vigno, le 11 septembre 2002
( - - ans)


La note:  étoiles
Littérature postcoloniale
Nous sommes dans une île des Antilles. Peut-être Trinidad. L’île vient de faire son indépendance et doit dorénavant se débrouiller toute seule. En fait, pas si seule que cela, l'île ! Les Américains veillent au grain, eux qui exploitent et surveillent leurs mines de bauxite. Et il y a aussi les anciens coloniaux qui survivent tant bien mal dans leur paradis perdu. Entre les coloniaux d’hier et les impérialistes d’aujourd’hui, l'île se réveille au nationalisme et replonge dans ses anciens rites religieux.
Sur l’île, un couple récemment formé. Deux Anglais. Roche a fait ses classes en défendant les Noirs d’Afrique du sud. Il a même publié un livre qui a fait de lui un héros dans son pays d'origine. Aux Antilles, il travaille pour l’entreprise Sablich.
Il a en quelque sorte été engagé par la Sablich pour « rétablir des rapports acceptables avec l'extérieur ». On lui propose de mettre son nom à profit et de contribuer à sortir l’île du marasme dans laquelle elle est plongée. Il parraine Thrushcross Grange, une « communauté du peuple » animée par James Ahmed, lui aussi un « révolutionnaire britannique », revenu dans son pays. Leur projet : la révolution basée sur le retour à la terre. Jane, sa compagne, l'a accompagné dans les Antilles. Ils se sont connus six mois plus tôt, quand elle a orchestré la campagne publicitaire de son livre. C’est une femme « irritée, insatisfaite, mais sans trop savoir de quoi, tantôt du monde lui-même et tantôt des hommes de ce monde. »
Elle avait vu en Roche un homme extraordinaire, un homme d'action. Elle déchante rapidement. Autour d’eux gravitent plusieurs autres personnages : des ministres, des hommes d'affaires, des guérilleros recyclés, des domestiques noirs...
L'action est plutôt réduite. On assiste à une tentative de renversement du régime, mais c'est à peu près tout. Là n'est pas l'essentiel. L’auteur décrit de façon brillante l'atmosphère post-coloniale qui règne dans l’île, le chaos des forces en présence, les contradictions de tous ces « révolutionnaires », guérilleros déchus, les débuts erratiques d’une île qui vient d’accéder à l’indépendance, son incapacité à se définir un projet de société. La déchéance est partout, les immeubles coloniaux tombent en ruine, les murs sont barbouillés de graffitis gauchistes-nationalistes, la forêt autour périclite, bref un climat délétère enveloppe l’île.
Je ne vous le cache pas, j'ai eu quelques difficultés avec ce livre. Rien n’est simple. L’auteur envisage le problème post-colonial dans toute sa complexité. Peut-on lui reprocher de ne pas simplifier? Pour terminer, je cite une cette critique qui m’apparaît très juste : « Dans ses romans et recueils de nouvelles, Naipaul réussit, par la puissance de ses évocations et par la précision de sa langue, à s'imposer comme l'un des conteurs les plus lucides de notre modernité. Son plus grand mérite est peut-être d'avoir su faire entrer les personnages de colonisés, d'immigrés, de déracinés dans le champ littéraire universel autrement que comme des êtres exotiques ou originaux. Il a compris le potentiel romanesque de ces hommes et femmes charriés et ensuite laissés sur le carreau par un ordre impérial finissant. Il a érigé en métaphores éloquentes de la condition humaine contemporaine leur confusion culturelle, leurs tiraillements entre des valeurs contradictoires, et cela à une époque où le « post colonialisme » ou la 'multiculturalité' n'étaient pas des concepts très en vogue. » (Tirthankar Chanda)
Traduit par Annie Saumont
Violence extrême dans les Antilles post-coloniales 8 étoiles

Vigno a remarquablement décrit le sujet et je me contenterai d'ajouter quelques commentaires.

L'auteur a écrit ce roman en 1973/74 et, depuis, nous avons suivi les évènements tragiques qui se sont déroulés dans ces îles, en particulier les interventions des Américains ; pour ma part je pense qu'il s'agit plus vraisemblablement de la Jamaïque. L'auteur a certainement vécu de semblables évènements car il décrit d'une main sûre les paysages envoûtants ainsi que les personnages hors du commun. Mais ce qui frappe surtout, c'est la violence, la haine qui se dégagent de ce récit et qui ne laissent pas indifférent.

Un grand Naipaul, comme d'habitude !

Tanneguy - Paris - 84 ans - 26 octobre 2014