L'année du lièvre, Tome 1 : Au revoir Phnom Penh
de Tian

critiqué par Shelton, le 12 février 2012
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Un regard/témoignage sur le drame cambodgien
Voici un ouvrage qui figurait dans la liste de la sélection officielle du festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Reconnaissons que ce n’est pas systématiquement un critère de qualité, mais que généralement cela signale des ouvrages qui méritent d’être lus. Tian a bénéficié d’une bourse d’écriture pour venir à bout de son projet, du moins du premier volume, et j’avoue avoir été conquis par sa narration graphique et la façon d’avoir organisé son récit.

En effet, l’histoire, si dramatique soit-elle, est connue de tous. Un jour le Cambodge va tomber aux mains de révolutionnaires khmers rouges. D’un seul coup le pays tombe dans le chaos. Je sais que l’expression peut en choquer quelques-uns mais franchement tous les témoignages se recoupent. Cette utopie meurtrière va ravager le pays et les survivants mettront un temps fou pour oser en parler comme le dit très bien le cinéaste Rithy Panh dans sa préface de l’ouvrage de Tian.

L’année du lièvre n’est pas un récit de plus sur la folie khmère, c’est celui de tian. C’est à dire qu’il va nous offrir un récit qui possède indiscutablement plusieurs qualités et particularités que je voudrais prendre le temps d’analyser.

Tout d’abord, il y a un fond solide historique et géographique qui permet à chaque lecteur qui ne connaitrait pas le contexte de le retrouver et de ne pas se perdre avec des noms de villes, de région, des dates… Tout ce dont nous avons besoin est là, mais sans non plus nous assommer avec un récit uniquement historique ou géographique. Cela reste une histoire humaine mais dans un cadre géographique et historique donné. Tout est vrai, tout est précis, tout est vérifiable. Pas de piège !

Dans un deuxième temps il y a une tranche de vie humaine. Attention, elle n’est pas enjolivée pour offrir des super héros plus forts que tous ceux que vous connaissez. Ce sont des femmes, des hommes et des enfants comme tous les autres. Quels que soient leur camp, leur origine sociale ou ethnique, ils sont comme ils sont, commettent tous des erreurs et ont tous des instants d’humanité. C’est un point fort de ce récit. Oui, il y a des Khmers qui font preuve, au moins un instant, d’humanité comme il y a dans les autres Cambodgiens, pourtant victimes, des êtres qui ne se comportent pas toujours avec exemplarité. Mais en fait c’est bien cela la vie, jamais noir ou blanc, presque toujours gris…

Enfin, revenons sur la narration graphique de Tian. Un trait léger et agréable même pour montrer le pire de l’homme. Nous sommes dans un récit qui ne cherche pas à noircir les scènes, juste les montrer pour que chacun sache ce qui s’est réellement passé dans ce pays, ce que les uns et les autres ont vécu, comment le drame s’est installé au cœur d’une nation.

On va donc suivre un groupe de personnes, je dirais une famille au sens large du concept. Elle représente un milieu privilégié, ceux qui seront les premières victimes des khmers : médecins, intellectuels, banquiers, politiques… Il y a donc des adultes qui comprennent ce qui est en train de se passer mais aussi des adultes inconscients qui espèrent que tout va s’arranger vite et des enfants que les adultes tentent de protéger…

L’ensemble est d’une force réelle et se lit pourtant avec plaisir comme une aventure, comme si tout cela n’était qu’un gros cauchemar… et, pourtant, c’était vrai ! Tian, lui, est né au Cambodge en avril 1975, c’est à dire qu’il est bien cet enfant qui nait pendant le début de la révolution khmère. Ce ne sont donc pas ses souvenirs, mais ceux de sa famille – et des nombreux témoins qu’il a rencontrés lors de ses nombreux voyages au pays – qui ont alimenté l’envie de nous raconter cette histoire qui devrait tous vous toucher !